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amis : Je rencontrai Verner chez S… au milieu d’un nombreux et bruyant cercle de jeunes gens. La conversation avait pris, sur la fin de la soirée, un tour philosopho-métaphysique. On parlait de convictions ; chacun en avait de différentes.

— Pour moi ! disait le docteur, dans tout ce qui me touche, je ne suis convaincu que d’une chose.

— Et de laquelle ? demandai-je, jaloux de connaître les sentiments d’un homme qui s’était tu jusqu’alors.

— C’est que, répondit-il, un beau matin, tôt ou tard, je mourrai.

— Je suis plus riche que vous, lui dis-je ; car en sus de cela, je suis encore convaincu d’une chose : c’est qu’un maudit soir, je suis venu au monde.

Tous trouvèrent que nous disions des absurdités, mais pas un d’entre eux ne dit rien de plus sensé. Dès ce moment nous nous remarquâmes mutuellement au milieu de la foule. Nous nous réunissions souvent et causions ensemble fort sérieusement de choses abstraites, si bien que nous nous aperçûmes que nous nous trompions