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sage et ne remua pas même les lèvres, comme si cela ne la regardait pas.) Je sais que la nuit passée tu es allée sur le rivage.

Et je lui racontai sérieusement tout ce que j’avais vu la nuit, pensant la troubler. Elle se mit à rire à gorge déployée.

— Vous avez vu beaucoup et vous savez bien peu ; mais ce que vous savez mettez-le sous clef[1].

— Et si, par exemple, je m’imaginais d’aller le raconter au gouverneur ? » lui dis-je en me faisant une mine sérieuse et prenant un air sévère.

Elle bondit en chantant et s’enfuit comme l’oiseau effrayé s’échappe d’un buisson ; mes dernières paroles l’avaient effarouchée. Je n’en soupçonnai point alors l’importance, et j’eus occasion de m’en repentir plus tard.

Cependant, la nuit était venue ; j’ordonnai à mon cosaque de mettre au feu ma théière de campagne ; j’allumai une bougie, m’assis près de la table et me mis à fumer ma pipe. J’achevais ma deuxième tasse de thé lorsque tout à coup la porte s’ouvrit, un léger bruit de vêtement se fit enten-

  1. Expression russe. Gardez-le bien.