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Voilà bien ! pensai-je ; dans le jour les muets parlent et les aveugles recouvrent la vue ; et je le suivis à une certaine distance, de manière à ne pas le perdre des yeux.

Cependant la lune commençait à se couvrir de nuages et un brouillard s’élevait sur la mer. C’est à peine si, à travers ces vapeurs, on pouvait voir briller un fanal placé sur la poupe d’un navire voisin. Au fond de l’eau l’écume faisait scintiller le galet et à tout moment inondait le rivage. Je parvins avec beaucoup de difficultés à descendre jusque sur la berge, et que vis-je alors ? L’aveugle s’arrêta un instant, puis tourna à droite et alla si près de l’eau, qu’en ce moment il me sembla que la vague l’avait atteint et l’emportait. Ce n’était évidemment pas la première promenade de ce genre qu’il faisait, à en juger par la sécurité avec laquelle il sautait de pierre en pierre et évitait les trous. Il s’arrêta enfin, et comme s’il prêtait l’oreille à un bruit quelconque, il s’assit à terre et posa son paquet à côté de lui. Je surveillais tous ses mouvements, caché derrière un des rochers du rivage qui faisait saillie. Après quelques instants une blanche forme se dessina du côté opposé, monta vers