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INCOMPRISE

couverture lui dégringole sur la tête. De joie, elle en oublie ses pires appréhensions, et rit en s’enroulant complètement dans cette étoffe si chaude quoique si rugueuse. Elle n’en est plus à s’inquiéter de l’odeur chevaline qui lui déplaisait tant auparavant.

« Je dois ressembler à un Arabe », dit-elle gaîment. Les Bédouins que j’ai vus au Jardin d’Acclimatation n’ont jamais d’autre lit. Si je faisais comme eux ? Qui dort dîne : Je sentirai moins la faim… C’est drôle de souffrir de la faim chez un oncle si riche !… »

Et elle s’étendit par terre, les bras repliés sur le tabouret et la joue sur ses deux mains. Malgré cette position assez peu confortable, il faut l’avouer, elle ne tarda pas à s’endormir.

Cependant, tout le monde était en émoi au château. Les cousines, lasses de chercher, lasses d’appeler, avaient donné l’alarme. On ne parlait de rien moins que d’organiser des battues dans la forêt, lorsque le cocher, en quête de lanternes, étant entré dans la remise, eut à ouvrir la fameuse armoire et découvrit Valentine profondément endormie.

« Ah bien, si je m’attendais à vous trouver là, Mam’zelle ! » s’écria-t-il.

Et après qu’il eut appris toute l’histoire.

« Faut avouer que vous n’êtes pas peureuse ! ajouta-t-il, j’en connais qui auraient fait un joli potin à vot’ place ! »

Valentine ne se sentait pas de joie de se voir décerner un brevet de courage, et elle se promit d’en avoir fini pour toute sa vie avec ses frayeurs d’autrefois.

« Sais-tu, lui dit Geneviève quand le cocher l’eut ramenée en triomphe, que tu aurais bien pu passer la nuit entière dans ton armoire ?