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L’ONCLE BARBE-BLEUE

« Je leur montrerai que je ne suis pas poltronne ! » s’écria la petite fille en serrant fortement les dents l’une contre l’autre et fronçant le sourcil avec une énergie d’autant plus grande qu’elle était plus nouvelle.

Elle renfonça ses larmes :

« Je ne veux pas qu’elles me voient les yeux rouges, se dit-elle, je ne veux pas pleurer ! je ne pleurerai pas ! »

Elle s’efforça donc de faire bonne contenance. Pour oublier sa situation, elle essaya de penser à mille autres choses ; elle récita les unes après les autres toutes les poésies qu’elle avait apprises par cœur ; elle s’interdit toute pensée amollissante de la rue de Vaugirard et des quatre frères Aymon ; mais l’heure du dîner était sonnée depuis longtemps, et son estomac criait famine, ce qui s’ajoutait à toutes ses angoisses. Nul n’ignore qu’il est plus difficile d’être brave à jeun qu’après un bon repas ; puis, la perspective d’une nuit blanche était peu réjouissante.

« Pourvu qu’il y ait de la lune cette nuit et point de rats » se disait la pauvre petite, trahissant ainsi ses deux grandes frayeurs.

Elle frissonna, non de peur mais de froid. Si au moins elle avait eu un manteau pour se couvrir, une couverture…

« Mais j’y pense, s’écria-t-elle, il n’est pas possible qu’il n’y ait point sur un des rayons de cette armoire des couvertures pour les chevaux. Je ne demanderais qu’à en trouver une pour me déclarer satisfaite de mon sort. »

Elle chercha à tâtons dans tous les coins, sa petite main heurta à mille obstacles inconnus, — et non sans pousser de petits cris lorsque certains contacts de brosses lui faisaient croire à une rencontre fortuite avec des souris. — Oh ! bonheur ! ses doigts sentent un épais tissu. Elle tire plus fort. Une lourde