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L’ONCLE BARBE-BLEUE

de son oncle par sa gaîté et sa bonne humeur que rien ne troublait, pas même les airs soucieux de M. Maranday.

Cependant, ainsi que vous avez dû le voir par la fin de la lettre de Valentine, l’une des petites filles n’était ni heureuse, ni bien jugée, par les grandes personnes comme par les enfants, et c’était Valentine. Elle l’avait bien deviné ; l’Oncle trompé par les apparences, rebuté par sa froideur qu’il prenait pour de la maussaderie, par sa timidité qui semblait presque de la bêtise, trouvait que, parmi les petites cousines dont le sort l’avait gratifié, une seule était peu sympathique : Valentine. En vain Mlle Favières essayait de protester, l’original personnage ne lui en laissait pas le temps :

« Elle n’a rien pour elle, cette enfant, rien, pas même l’enjouement et l’insouciance de l’enfance, voyez-la se promener à l’écart ; elle n’a pas seulement su se faire aimer de ses camarades. »

C’était vrai. On ne sait pourquoi, une ligue s’était formée contre Valentine. Ses cheveux fauves, aux tons éclatants du cuivre poli, avaient le don de déplaire à ces demoiselles, qui ne lui marchandaient pas les railleries ; son petit nez aux ailes mobiles recevait mille quolibets, et son teint pâle exaspérait ces fillettes, cruelles sans s’en douter.

Valentine tenait-elle baissés ses grands yeux changeants ? « elle faisait l’hypocrite ». Les levait-elle ? « Quel regard d’acier ». Refusait-elle de se mêler aux jeux ? « Comme elle nous dédaigne ! Sans doute elle se croit trop grande pour jouer avec nous ». Recherchait-elle la société de ses compagnies ? « Quelle mouche la pique aujourd’hui ? »

C’était une petite guerre implacable de sous-entendus, de piqûres d’aiguille sans cesse renouvelées, à peine compréhen-