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LE COURRIER DE ROCHEBRUNE

passé. Vite à la Belle-Jardinière, Papa. Tu emmèneras les garçons, car on renouvellera en même temps les jerseys des quatre frères Aymon (c’est cette maligne Geneviève qui s’est permis d’appeler ainsi notre quatuor).

» Je te défends d’économiser, petite maman chérie ! À quoi bon ? je ne veux pas un sou de cet argent, tu entends ? pas même un centime ; j’ai tout ce qu’il me faut et n’ai besoin de rien. Si par hasard il reste quelques francs, achète un livre à Daniel, un album à Stanislas, une boîte de couleurs à Jacques et un régiment de soldats de plomb à Lolo.

» Je n’ose pas ajouter : achète deux bourriches de pétunias pour mettre sur le balcon, car je te connais, jamais tu n’achètes rien pour toi, mais cela me ferait tant de plaisir de savoir que nos fleurs fanées sont remplacées, que tu devrais bien faire ce que je te demande. Toi qui aimes tant les fleurs ! si j’étais riche, je t’en expédierais tous les jours !… Mais, que dis-je, je suis riche, puisque je possède cent francs : deux mille sous ! hein ! Lolo, que de sucres d’orge cela représente !

» Vous aurez une lettre chargée demain ou après-demain, mais pour cela, il faut que j’aille en ville, à Dampierre, sinon à Grenoble.

» N’est-ce pas que l’oncle est bon, malgré son regard sombre et ses manières brusques, malgré ses bizarreries et son nom biscornu ? Si j’osais, je lui parlerais de vous et je le forcerais bien à vous aimer, mais voilà ! je n’ose pas, et il doit me prendre pour une petite niaise, pour une ingrate, tout au moins. C’est à peine si je lui ai dit merci, hier, tant je m’attendais peu à ce cadeau, et tant j’étais heureuse du bonheur en perspective pour vous tous. Ma première pensée a été pour vous, pour toi, chère Maman.