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LE COURRIER DE ROCHEBRUNE

a été vite vidée. Je l’ai lancée par la portière, et elle est allée tomber sur le nez d’un garde-barrière tout ébaubi, ce qui nous a bien fait rire.

» Pour ne pas mourir d’ennui dans le compartiment où nous étions parquées, nous avons essayé de tout, mais notre plus grande ressource a été de manger, nous avons fait trois repas, sans compter les intermèdes. Mon Dieu, que Charlotte est gourmande, si tu savais ! cela m’étonne qu’elle n’ait pas été malade après tout ce qu’elle a avalé. Dans les intervalles, nous avons fini par faire comme les boas constrictors, et nous nous sommes laissées aller à une somnolence béate.

» Nous sommes arrivées très tard à Grenoble. Le landau de l’oncle nous attendait. Si tu nous avais vues écarquillant nos yeux pour tout voir, tu aurais ri. Que pouvions-nous distinguer à cette heure ? Entre dix et onze heures du soir, toutes les villes se ressemblent, surtout quand on les traverse en voiture fermée. J’ai aperçu vaguement des montagnes qui se profilaient ; puis, notre premier moment d’excitation passé, nous avons recommencé de sommeiller. Enfin, au bout de deux mortelles heures, par des chemins toujours montants, nous sommes arrivées à Rochebrune. L’oncle est venu à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue. Qu’il a l’air grave et sévère l’oncle Isidore ! Non, vois-tu, un oncle, si bon qu’il puisse être, ne vaut jamais un papa, et surtout un papa comme toi ! Oh ! que je t’embrasserais si je te tenais et avec quelle joie je te tirerais les moustaches !… L’oncle Isidore a une longue barbe, lui ; mais je n’oserais jamais la lui tirer !…

» Tu comprends que nous n’avons pas beaucoup causé le