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L’ONCLE BARBE-BLEUE

« Mais c’est voyager comme un paquet, cela, s’écria Geneviève, autant vaudrait être un colis postal !… Papa et moi, nous prenons toujours les trains de jour, et je descends à toutes les stations un peu importantes pour me dégourdir les jambes. »

Ainsi engagée, la conversation ne tarda pas à devenir générale ; la gêne ne dure guère entre fillettes du même âge. Élisabeth et Charlotte furent moins longues à s’apprivoiser que Mlle Favières ne l’aurait cru au premier abord. Bientôt elles jacassaient comme deux petites pies avec Geneviève, plus gaie qu’une alouette. L’espiègle, qui était déjà allée à Lyon, s’amusait à leur raconter des histoires impossibles sur tout ce qu’elle voyait :

« Ici, nous avons fait une partie de campagne avec papa et tous les officiers de son régiment, quand nous étions en garnison à Paris… Là, l’ordonnance de papa est tombé à l’eau en voulant cueillir des roseaux pour orner notre salon… Je suis venue cinquante fois par ici, Mesdemoiselles. »

Peu à peu, Mlle Marie-Antoinette oublia ses grands airs et ses bouderies, et se mit de la partie. Mlle Favières les écoutait, souvent égayée, et plus souvent encore édifiée sur les caractères, par un mot, une saillie, un trait d’égoïsme, de vanité, de paresse, par lesquels les fillettes se dévoilaient ingénument. Mais elle observa que Valentine restait morne et désolée dans son petit coin, longtemps après que son petit mouchoir eût été remis dans sa poche. Rien ne la déridait ; elle ne répondait que par monosyllabes, et quand il lui était impossible de faire autrement.

« Serait-elle boudeuse ? » se dit Mlle Favières.

Elle ignorait que ce petit cœur était gros de larmes, que les plaisanteries de Geneviève, loin d’égayer Valentine, lui rap-