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DÉCOUVERTES

qui me rappelle ce que j’étais autrefois, et ce que je ne serai plus jamais !… par ma faute… Allez-vous-en, Valentine. Je suis méchant, la souffrance aigrit les meilleures créatures. Allez-vous-en, vous dis-je, et laissez-moi à ma solitude. »

Puis, dans un accès de désespoir, il se cacha la figure dans les mains et éclata en sanglots.

Valentine, pleurant aussi par pure sympathie, ne savait que faire devant un pareil chagrin. Elle eût donné tout au monde pour soulager Luis. Mais que lui dire pour le calmer, pour lui montrer sa sympathie ? elle sentait instinctivement dans sa délicatesse qu’il est des douleurs profondes qu’une main amie peut à peine effleurer. Elle avait l’intuition d’être en présence d’un enfant plus malade encore au moral qu’au physique, et craignait qu’un mot trop direct vînt tout gâter. Un mouvement brusque avait fait glisser le châle qui recouvrait les pieds de Luis, et Valentine avait aperçu une pauvre petite jambe déformée, maintenue dans un appareil. Voilà donc le mot de l’énigme, voilà le secret de la captivité de l’enfant, et des tristesses de l’Oncle, et de son antipathie inexplicable pour les garçons bien portants.

Valentine s’approcha de Luis, et remettant délicatement le châle en place :

« Luis, dit-elle, mon cher petit cousin, écoutez-moi.

— Non, non, je déteste tout le monde ! j’exècre tous ceux qui sont heureux et beaux !…

— Vous ne pouvez pas me détester, moi, qui suis laide et malheureuse.

À cet argument extraordinaire, le désespéré se décida à montrer de nouveau sa figure :

— Vous n’êtes pas laide du tout, affirma-t-il en souriant malgré lui. Et pourquoi seriez-vous malheureuse, vous ?