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LE MANOIR DE VILLERAI

Vers la fin de l’hiver, le pauvre Joseph fut atteint d’une maladie dont il ne guérit jamais. Après de tristes efforts pour lutter contre la faiblesse et l’épuisement, qui, augmentant de jour en jour, minaient lentement mais sûrement sa constitution, il fut obligé d’abandonner complètement la culture des champs. Il n’avait pas de fils pour le remplacer, et il était presque impossible de trouver des travailleurs dans un temps où l’armée avait pris une si grande partie de la population rurale, ou bien le prix en était trop exorbitant ; de sorte que la terre de Lauzon demeura inculte, excepté quelques arpents que des voisins charitables labourèrent et ensemencèrent pour lui. Pendant deux mois le pauvre homme avait été retenu au lit, et maintenant il n’attendait plus, comme il le disait lui-même, que l’ordre final du ciel de partir pour son long et dernier voyage.

Sa fille, Rose, comme un bon ange, était toujours à ses côtés, le calmant dans les moments de douleurs physiques, l’amusant dans les heures de tristesse, et répandant un rayon de bonheur sur ce passage de la vie à la mort, qui aurait été bien triste sans son amour plein de dévouement.

La pauvreté et la misère, loin d’adoucir le caractère tyrannique de madame Lauzon, ne l’avaient rendue que plus violente, plus méchante qu’auparavant ; et Rose, le principal objet de ses accès de colère, aurait depuis longtemps quitté cette demeure malheureuse, si l’amour filial et la pitié ne l’avaient retenue aux côtés de son père affaibli. Pour l’amour de lui elle attendit patiemment et souffrit tout.

Devinant bien la force de cet amour filial, madame Lauzon en profita avec bassesse en reprochant presque chaque jour à sa malheureuse belle-fille de continuer à être un fardeau pour leur pauvreté. Ceci était excessivement injuste, car Rose, possédant parfaitement toutes les connaissances domestiques pour bien conduire une maison et bien administrer la laiterie et la basse-cour, savait se rendre très utile. Madame Lauzon, presque toujours occupée à veiller ses quatre enfants mal élevés et incommodes, reconnaissait souvent cette vérité en secret. Les petites sommes d’argent que Rose continuait à gagner par ses travaux d’aiguille, étaient toujours employées à acheter quelques douceurs capables de tenter le faible appétit de son père malade.