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LE MANOIR DE VILLERAI

rongé par la fièvre sur sa couche de douleur, ne put participer à cette gaieté universelle. De Lévis, au milieu de tous les sujets importants qui occupaient son temps et ses pensées, se souvint du brave jeune homme, dont la belle figure et le mâle courage l’avaient si vivement intéressé ; et, aussitôt qu’il put trouver un moment de loisir, il demanda où était la tente de de Montarville, et il s’y rendit.

En entrant, il trouva le chirurgien du régiment qui se tenait près du lit du blessé.

— Eh bien ! docteur, avez-vous bon espoir ? demanda-t-il en examinant la physionomie animée mais défaite de Gustave.

— Oui, chevalier ; mais la forte fièvre qui accompagne la blessure, me rend moins assuré que je ne le serais autrement. Dans tous les cas, il n’aura pas d’autre occasion de gagner des lauriers pendant cette campagne, car sa guérison sera longue et pénible ! Oh ! s’il revient jamais, ce sera bien déjà suffisant ; car il est assez jeune pour perdre un an ou deux ; et de plus, j’aurai soin que la vaillance qui lui a coûté si cher, soit connue là où elle doit l’être. Pauvre enfant ! et il rangea doucement les cheveux épars qui, trempés par la sueur, couvraient négligemment les tempes de Gustave.

— Il y a un jeune cœur que je connais et que la mort de ce jeune homme aurait bien affligé, peut-être brisé.

— Ah ! oui, reprit le chirurgien ; dans le paroxisme du délire, le nom de Rose était toujours sur ses lèvres.

— Rose, répéta avec une vive surprise le chevalier, car sa mémoire fidèle lui disait bien que ce n’était pas là le prénom de Mlle de Villerai. Bien, il est heureux pour lui, pensa-t-il intérieurement, que pendant sa maladie il ne soit pas veillé par sa belle. Assurément, l’héritière de Villerai est une meilleure prise que toutes les Roses du monde.

Après avoir instamment recommandé de Montarville aux soins particuliers du médecin, il prit congé de lui, pensant intérieurement à l’étrange légèreté du cœur humain.

Des soins habiles et une constitution naturellement forte mirent bientôt Gustave hors de danger ; mais pendant de longs mois bien ennuyeux, il resta aussi faible qu’un enfant, tandis que son bras en écharpe ne promettait guère de devenir bientôt utile. Le sort, toutefois, ne lui fut pas