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LE MANOIR DE VILLERAI

XIII


Le printemps, annoncé par les glaçons tombant des toits, par des traces noirâtres répandues sur la blancheur de la neige, par les zéphirs agitant mollement tout ce qu’ils rencontraient et annonçant les rayons d’un soleil réchauffant et les doux parfums des fleurs ; le printemps, dis-je, arrivait rapidement. Dans notre climat, où pendant six longs mois de l’année on ne voit que rivières glacées, que collines et plaines couvertes de neige, le retour du printemps est un événement qui remplit de joie le cœur le plus indifférent ; qui oblige l’amateur le plus enthousiaste de l’hiver à reconnaître qu’il est temps que sa saison favorite fasse place à une autre. En effet, avec quelle joie nous saluons le chant du rossignol, même les rauques croassements du corbeau ; avec quel plaisir nous remarquons les arbres qui bourgeonnent, la jeune herbe qui pousse, la violette qui s’épanouit ; avec quelle avidité nous contemplons l’azur des eaux profondes des lacs et des rivières, coulant doucement sous les ardeurs d’un soleil vivifiant ; de quel œil dédaigneux nous regardons les glaces et les neiges qui restent encore çà et là sur les rivages, sachant bien que dans quelques jours ces derniers vestiges de l’hiver vaincu auront aussi disparu.

Dans son agréable maison de campagne, Blanche de Villerai se distrayait de sa solitude en suivant tous ces changements de la nature ; contrairement à bien d’autres jeunes filles de son âge, elle ne se fatiguait jamais d’admirer un beau ciel de printemps, ou d’étudier les progrès d’une terre verdoyante.

Sa séparation de son fiancé pour retourner à Villerai avait été calme et sans démonstration affectée ; car son sang-froid ordinaire ne la quittait jamais un instant, de Montarville, désireux de réparer le passé et d’accomplir la promesse qu’il avait faite à Rose, montra beaucoup plus d’émotion qu’il n’avait jamais fait auparavant. Il pensait secrètement, en revenant à ses quartiers, après la visite d’adieu à Blanche, que ce qui pouvait leur arriver de plus heureux et de plus avantageux, à tous deux, pendant la prochaine campagne, serait qu’il reçut une bonne balle,