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LE MANOIR DE VILLERAI

Notre-Dame, alors le quartier le plus fashionable de Montréal, et regardait mélancoliquement par la fenêtre les branches nues des beaux arbres qui entouraient l’ancien collège des jésuites, lequel depuis longtemps a fait place au palais de justice. Elle soupirait ardemment après le jour où elle reverrait les silencieuses forêts et la profonde solitude de son cher village de Villerai. Elle fut très désagréablement interrompue dans sa rêverie par le nom d’un visiteur qu’on annonçait, le vicomte de Noraye.

Il se présentait certainement dans un moment défavorable ; mais ne s’imaginant pas qu’un cavalier aussi aimable pût jamais ne pas être le bienvenu auprès d’une jeune fille, il entra dans l’appartement, avec un sourire plein de la plus désagréable suffisance.

Après quelques instants de conversation banale, il demanda avec plus d’intérêt que sa fatuité ordinaire lui permettait souvent d’assumer :

— Est-ce bien vrai que mademoiselle de Villerai pense retourner à la campagne la semaine prochaine ?

— Oui, sans aucun doute.

— Mais, pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ? demanda-t-il vivement. Pourquoi mademoiselle de Villerai priverait-elle si vite ses nombreux amis du plaisir de sa présence ?

Blanche était si accoutumée à de pareils discours, que cette platitude ne fit que la fatiguer et elle ne daigna même pas y répondre. Mais son regard devint plus sérieux, quand le vicomte, après une préface ébouriffée et un peu extraordinaire, exprimant l’amour et l’admiration qu’il lui portait, finit par lui demander de partager son titre et sa fortune dans la belle France.

Le front de la jeune fille se couvrit d’une vive rougeur, et, d’une voix agitée par la surprise et le mécontentement :

— M. le vicomte ne sait donc pas, dit-elle, que je suis engagée à M. de Montarville ?

— Sans doute, reprit-il froidement ; mais j’osais croire que cette circonstance n’influencerait en rien la réponse favorable que j’espérais recevoir à ma demande.

Pendant un instant, l’indignation que Blanche ressentait la rendit silencieuse, et ensuite elle répondit avec un sourire de mépris :