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LE MANOIR DE VILLERAI

sionnistes en face du manoir, les hommes agenouillés, comme de galants cavaliers doivent faire en pareilles circonstances, fixant et attachant les courroies des raquettes aux pieds des demoiselles délicatement chaussées de mocassins. Quelques-unes portaient des mitasses de flanelle blanche, garnies de franges rouges. Cet ornement, dans une telle occasion, paraissait tout à la fois confortable et pittoresque.

La matinée était magnifique. De superbes cumulus parsemaient le firmament. Le léger dégel qui avait eu lieu pendant la nuit précédente et le froid subit qui l’avait suivi, avaient produit plus de merveilles et plus de beautés que le génie arabe ne peut en concevoir avec ses impossibles talismans. Chaque arbre, chaque branche, chaque rameau était revêtu d’une couche inimitable de diamants étincelants, dans lesquels la lumière du soleil se réfractait en répandant de superbes rayons. Enchanteur et féerique était le spectacle que formaient les sombres et solitaires forêts qui s’étendaient au loin derrière le manoir. Leur longue et obscure perspective, leurs arceaux élevés, dont les rameaux ramassés étaient courbés sous le poids de brillants glaçons, paraissaient soulagés et adoucis à la vue par la teinte émeraude foncée des sapins. Pour les personnes même accoutumées à admirer ces spectacles, la scène était grande et belle à l’extrême, et plusieurs personnes de la petite troupe la contemplaient avec une admiration croissante, quand de Noraye remarqua d’un ton langoureux :

— Bien ! maintenant, il ne nous manque plus que la couverte et le tomahawk pour être de parfaits Canadiens. Comme il est beau de conserver ainsi les coutumes et les costumes traditionnels des maîtres aborigènes du sol !

Soit que la dernière partie de sa phrase fût dit par raillerie ou autrement, personne n’y fit attention, et le vicomte s’aperçut bientôt que tout ce qu’il pouvait faire était de suivre ses compagnons et de conserver son équilibre. Cet amusement lui paraissait de plus en plus abominable, et il pouvait à peine maîtriser son impatience, quand il entendait ses compagnons pousser des exclamations de plaisir.

Il s’étonna beaucoup de la facilité apparente avec laquelle la plus belle partie de l’expédition conservait le pas rapide pris dès le commencement ; et il ne put s’empêcher d’avouer