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LE MANOIR DE VILLERAI

affections avec une rivale. Toutefois, des mois s’étaient écoulés depuis la première esclandre que vous aviez causée à Villerai ; ils se rapprochaient insensiblement l’un de l’autre, de Montarville était devenu plus affectueux, et Blanche commençait à pardonner, quand vous apparaissez une seconde fois sur la scène, pour causer plus de malheurs qu’auparavant. Jeune fille, vous faites bien de garder le silence, car quelle réponse pourriez-vous donner ?

Pauvre et patiente Rose ! si elle eût voulu parler, comme elle aurait confondu tous ses persécuteurs ; mais ce sentiment de dévouement et de sacrifice si naturel à la femme et qu’elle possédait à un degré éminent, lui fit garder le silence.

Mademoiselle de Nevers était nonchalamment étendue sur sa chaise, jouant avec une riche vinaigrette d’or ; mais la vivacité de son teint et de ses yeux montrait clairement combien cette scène lui était agréable.

Madame de Rochon, complètement confondue par toutes ces révélations inattendues, s’était levée de son siège, regardant tantôt madame Dumont, tantôt sa protégée, incapable de condamner celle-ci, et n’osant pourtant pas l’excuser. En jetant ses regards sur cette belle et gentille enfant, qu’elle avait si vite appris à aimer, elle ne pouvait trouver sur cette figure si douce aucune trace de culpabilité ou d’hypocrisie ; et elle reprit avec hésitation :

— Mais, ma chère madame Dumont, êtes-vous bien sûre que Rose soit aussi blâmable que vous le dites ? Dieu l’a douée d’une grande beauté, et cette beauté, peut-être, a pu attirer le capitaine de Montarville, comme le vicomte de Noraye, que Rose a dédaigneusement repoussé l’autre jour dans cette même maison.

— Repoussé ! dit en ricanant mademoiselle de Nevers. Oui, c’est là son récit, mais peut-être que lui nous dirait autre chose.

— Pauline, silence ! dit madame de Rochon, avec sévérité.

— Ma chère dame, demanda madame Dumont d’une voix polie mais qui laissait percer la colère, êtes-vous réellement sérieuse en faisant cette dernière remarque ? Pouvez-vous penser un instant qu’un jeune homme, quelque excentriques que soient ses goûts et ses pensées, abandonnerait la belle