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LE MANOIR DE VILLERAI

entre personnes de rangs aussi différents a d’abord été formée ?

Aussitôt se présenta à la mémoire de Rose le souvenir de cette rencontre avec de Noraye à la porte du manoir, quand de Montarville l’avait si généreusement délivrée des importunités insolentes du vicomte, et la pensée de cet événement, qui était si profondément gravée dans sa mémoire, couvrit sa joue d’une vive rougeur.

— Eh bien ! allez-vous satisfaire notre curiosité, mademoiselle ? persista la jeune fille en prononçant ce dernier mot avec une emphase remplie de mépris.

La répugnance que Rose éprouvait à rapporter cette rencontre, augmenta sa confusion ; cependant elle reprit à voix basse :

— Mademoiselle de Nevers devra m’excuser, car il m’est impossible de la satisfaire.

Pauline se rejeta en arrière sur sa chaise, et regarda la petite paysanne avec un mélange d’insolence et de moquerie qui aurait presque anéanti cette dernière, si elle l’eût remarqué. Heureusement, les yeux de Rose étaient baissés sur son ouvrage, et Pauline dut se contenter de cette exclamation sarcastique :

— Ainsi mademoiselle refuse de nous satisfaire ! Mon Dieu, que peut-il donc y avoir de si secret et de si important dans la première rencontre d’une pauvre paysanne et d’un gentilhomme comme le vicomte de Noraye ? Ah ! bonne tante, la vanité et l’intrigue ne demeurent pas toujours au milieu de la soie et de l’or ; on les rencontre aussi souvent sous la serge de laine et le calicot du paysan.

Madame de Rochon, prenant en pitié l’extrême détresse peinte sur la figure de Rose, dit doucement :

— Comme mademoiselle de Nevers est avec moi, vous pouvez aller vaquer aux devoirs du matin qui vous attendent ailleurs.

— Maintenant, ma tante, s’écria mademoiselle de Nevers d’un air de triomphe, quand elles furent seules, que pensez-vous de cette petite hypocrite à figure trompeuse ? N’est-ce pas justement comme je le pensais, comme je l’avais prédit ? Oh ! je savais bien qu’une beauté comme la sienne, chez une servante, ne produirait rien de bon.