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LE MANOIR DE VILLERAI

commandant la vue sur l’étroite allée bordée de dahlias qui conduisait à la porte de la maison.

Tout à coup, cependant, la physionomie gaie et satisfaite du bon pasteur s’altéra extraordinairement, en apercevant une femme à la démarche masculine, qui s’avançait en jetant des regards vifs et scrutateurs vers les croisées garnies de rideaux blancs du presbytère.

— Il n’est pas étonnant que la pauvre Rose ait peur d’elle ! pensa le prêtre, en fermant son livre précipitamment et s’agitant sur sa chaise. J’avoue que cette entrevue m’est rien moins qu’agréable.

Son courage, toutefois, s’éleva bientôt à la hauteur de la circonstance ; et quand madame Lauzon, la figure animée, la voix tremblante, non pas certainement de timidité ou d’inquiétude, lui souhaita le bonsoir, ses manières furent pleines de calme et de dignité.

— Je suis venue, monsieur le curé, commença-t-elle un peu brusquement, abordant de suite le sujet de sa visite, pour vous parler de cette petite ingrate et hypocrite, ma belle-fille, Rose, et pour vous faire connaître tout ce qu’elle m’a fait souffrir.

Puis avec une volubilité, une emphase et une quantité d’adjectifs que peu de personnes de son sexe auraient pu imiter, elle commença un récit circonstancié de sa dernière entrevue avec Rose. Quoique la proportion de véracité et de fausseté dans son histoire fût comme une goutte d’eau dans l’Océan, M. Lapointe ne l’interrompit pas. Il l’écouta patiemment pendant qu’elle déclamait contre l’ingratitude de Rose, contre sa duplicité et ses innombrables mauvaises qualités ; jusqu’à ce qu’enfin, à bout d’haleine, elle fût obligée de se taire.

Alors il reprit tranquillement :

— De sorte que cette ingrate jeune fille vous a quitté, à ce qu’il paraît ?

— Oui, monsieur, avec une méchanceté et une insolence sans pareille.

— Alors, ma bonne madame Lauzon, permettez-moi de vous féliciter ; car si elle est seulement la moitié aussi mauvaise que vous venez de me le dire, ce doit être pour vous une bénédiction que d’en être débarrassée.