Page:Leprohon - Armand Durand ou la promesse accomplie, trad Genand, 1869.djvu/158

Cette page a été validée par deux contributeurs.
156

Délima Laurin. Il avait conçu pour la jeune fille un intérêt naissant, provoqué plus par la partialité évidente qu’elle manifestait envers lui que par sa beauté, et cet intérêt le poussait à rester muet sur ce sujet dans ses lettres à Paul. À dire vrai, il avait peu de chose à en écrire : de temps à autre une veillée tranquille à jouer aux cartes ou aux dames ; bien rarement un tour de carriole avec elle et madame Martel ; ou bien, les soirs de grands froids, une longue conversation autour du grand poêle double de la salle : leur intimité n’allait pas au-delà. Les fréquentes absences de madame Martel de la chambre, — lesquelles avaient l’air d’être faites à dessein, — ne lui firent jamais changer le ton de sa voix, soit pour diversifier ou s’attirer un plus doux regard de la belle jeune fille. Il n’aurait peut-être pas été aussi indifférent si une autre figure, capricieuse, fière et charmante, ne s’était pas présentée à son esprit, l’endurcissant contre toute autre influence.

Le carnaval était bien gai. Comme Durand allait mieux, du moins d’après ce que Paul écrivait, Armand jouissait sans remords des innocents plaisirs que lui offrait la société. Il rencontrait quelques fois mademoiselle de Beauvoir aux plus recherchées de ces soirées, et parfois il avait le rare privilège de danser avec elle, et elle se montrait toujours pour lui gracieuse et aimable à l’extrême. Ce qu’il y avait de singulier, c’est que chacune de ces rencontres avait l’effet de le rendre des semaines entières tout-à-fait insensible aux charmes de Délima.