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de sentiment qui leur fit le plus grand honneur, les autres personnes de la maison évitaient de faire le moindre bruit en marchant ou en parlant.

Un peu après-midi, un léger coup fut frappé à la porte : Jeanne se hâta d’aller ouvrir. C’était un soldat portant un plateau sur lequel il y avait quelques rafraîchissements que, dit-il, le docteur Manby lui avait le matin, recommandé d’apporter au malade.

— Je commence à avoir une meilleure opinion de ces habits rouges, se dit Jeanne en disposant les mets sur une petite table qu’elle approcha près d’Antoinette. Ah ! je le crains bien, vous, belle figure, vous étiez un des pires de toute la bande.

Et elle regardait le blessé qui, par sa contenance, ressemblait à une statue.

Elle invita vivement la jeune femme à prendre quelques rafraîchissements qu’elle disposa devant elle ; mais Antoinette avait le cœur trop gros de chagrins. Jeanne fut donc obligée d’enlever le plateau intact, et se consola par la pensée que si la jeune cousine de madame d’Aulnay ne mangeait pas, ce n’était pas au moins pour la déplorable raison qu’elle n’avait pas de quoi manger.

Le soleil s’était couché derrière des montagnes de nuages, laissant ça et là dans le ciel de larges sillons cramoisis ; le crépuscule tombait rapidement et ses ombres blafardes rendaient plus pâle et plus lugubre le visage hagard du blessé qui reposait immobile dans