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Encore sous l’effet de l’entrevue qu’elle venait d’avoir avec le colonel Evelyn, Antoinette n’était pas en veine de conversation. Après avoir poussé jusqu’à la Place Dalhousie où s’élevait la citadelle surmontée du drapeau britannique et environnée de quelques canons rouillés qui avaient été presque toute la défense de Montréal contre trois armées assiégeantes, elles reprirent le chemin de la maison. Elles rencontrèrent de nouveau Sternfield et sa compagne triomphante. À leurs saluts empressés, madame d’Aulnay ne répondit que par un signe de tête froid et dédaigneux qui blessa le major autant que le salut indifférent et calmé d’Antoinette. Lucille était excessivement montée, et elle tonna contre Sternfield avec une vivacité et une énergie qui n’auraient pas été plus grandes si elle eut été à la place d’Antoinette.

— Puis-je dire à Jeanne que tu n’es pas à la maison, la prochaine fois qu’il viendra pour te voir ? Ne dis pas non… je le ferai. Cet insolent mari doit être, d’une manière ou d’une autre, ramené au sentiment de la réalité.

Le jour suivant, le docteur Manby, un des chirurgiens de l’armée et un habitué de la maison d’Aulnay, vint, et il s’informa si particulièrement de la santé d’Antoinette, il montra un si grand désir de la voir, que, malgré l’intention formelle de sa cousine de ne recevoir aucune visite pendant deux ou trois jours, Lucille monta à sa chambre, et, autant par caresses que de force, elle l’entraîna au salon.