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mademoiselle de Mirecourt. Mais depuis douze ans je n’ai pas remis les pieds sur le sol de mon pays ! »

— Et que sont-ils devenus ? demanda Antoinette dont les paupières humides et la respiration précipitée attestaient l’intérêt qu’elle avait porté à ce touchant récit.

— Comment ! ce qu’ils sont devenus ! répéta-t-il avec amertume. Moi-même, dans ma désolante simplicité, je me fis cette question, m’attendant à ce que leur perfidie fût punie comme elle le méritait. Eh ! bien, il n’en a rien été : j’ai appris qu’ils étaient un des couples les plus heureux d’Angleterre, entourés de charmants enfants, elle belle et admirée, lui heureux et dévoué ; tandis que moi, je ne suis qu’un être, nomade sur la terre, qu’un misérable solitaire, qu’un sombre misanthrope. Et maintenant, mademoiselle, vous étonnez-vous encore que j’aie perdu toute confiance dans votre sexe ? que j’aie évité les femmes avec autant de soin qu’un saint ou un anachorète pourrait y mettre ?

Antoinette ne répondit pas, car elle sentait que le tremblement de sa voix trahirait la vive sympathie qu’elle éprouvait pour le colonel.

Celui-ci interpréta correctement le silence qu’elle observait. Après un silence, il reprit :

— J’ai été singulièrement communicatif avec vous, mademoiselle de Mirecourt : pouvez-vous me dire quelle secrète influence a ainsi brisé les glaces de ma réserve habituelle ?