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d’Aulnay sur un ton devenu plaintif ; n’avons-nous pas assez fait pénitence pendant de longs et lugubres mois ? Après tout, le monde doit vivre, et pour vivre il a besoin de société. J’aimerais autant vêtir le costume de Carmélite et te voir prendre la robe et le capuchon du Trappiste, que de continuer à vivre dans cette réclusion du cloître où nous végétons depuis si longtemps.

— Tu es absurde, Lucille !… Quant à la robe et au capuchon de Trappiste, je crois qu’ils conviendraient mieux à mon âge et à mes goûts, ou du moins qu’ils me seraient plus confortables que les costumes de fêtes et les habits de bal que tes projets vont me contraindre de vêtir. Mais enfin, pour parler sérieusement, je ne puis m’imaginer que toi qui avais l’habitude de parler d’une manière si touchante avec les militaires français des malheurs du Canada, — toi qui, par tes patriotiques dénonciations de nos ennemis et de nos oppresseurs, entraînais ceux qui t’écoutaient, — toi que le colonel de Bourlamarque a comparée à une héroïne de la Fronde, — je ne puis, dis-je, m’expliquer que tu ailles recevoir et fêter ces mêmes oppresseurs.

— Mon cher d’Aulnay, je te le demande encore une fois, ai-je d’autre alternative ? Je ne puis convenablement, tu en conviendras, inviter à mes réunions des commis et des apprentis, et c’est tout ce qui nous reste : notre monde est dispersé d’un côté et de l’autre. Ces officiers anglais peuvent être d’infâmes tyrans et