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Paris, le 21 octobre 1887.
Hôpital Broussais, salle Follin.
Cher ami,

D’abord bien des mercis pour la mention dans l’Écho de Paris. Puis ceci pressé, pressé, comme tu vas voir.

Je m’attends à sortir bientôt ; en réalité, je me crois incurable, ou tout au moins guérissable si à la longue, qu’autant dire pas ! Un vague, mais très pénible amour-propre me pousse à l’impatience. On a l’air d’être là par charité. Quoiqu’au fond la société, qui m’a dépouillé sous la forme du juge de paix du XIIe arrondissement, me doive peut-être un peu l’hospitalité. Et puis, je puis d’un moment à l’autre être renvoyé, quelque bienveillants que soient les directeurs et les médecins ! Or, si je sortais à l’improviste, avant le 15 novembre, je pourrais très bien me trouver avec pas assez le sou pour prendre un train pour Bougival. Je te serais donc obligé de m’envoyer par mandat la somme à ce suffisante [0 fr. 90 c. !!]. Je t’assure que tu seras remboursé en novembre prochain. Je mettrai cette somme de côté en attendant de partir, sans y toucher du tout. Quelques amis m’apportent de temps en temps du tabac, et Vanier, — mais qu’il est dur à la détente ! me « fade » par instants, sur de vagues copies miennes. Je vais aussi conclure des traités quelque peu nourrissants… pour l’avenir, avec cet éditeur, intelligent, mais, je le répète, serré !

Je tirerai d’ailleurs le plus possible de jours ici. Je ne me déciderai à sortir que quand je verrai qu’on en a assez. Mais comme je me doute que ce sera bientôt, tu vois que j’ai raison d’attendre avec impatience ce que tu voudras bien me prêter pour ce petit voyage, fait par un malade ou presque.

Je ne te gênerai pas beaucoup d’ailleurs, ni longtemps. Si tu savais comme je suis devenu, j’ai toujours été, d’ailleurs, aisément satisfait. Et j’ai si peu de besoins maintenant ! Des amis s’occupent pour me placer de la copie à droite et à gauche. Peut-être pourras-tu, toi, me donner des conseils et des indications. Sans, bien entendu, perdre de vue l’idée de me caser, si possible, ès-maisons de santé, etc.

Mais je crois que je dois espérer gagner par la littérature et me compléter le pain (et un peu de beurre) avec autres menues besognes, leçons, écritures, etc.