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écrire des œuvres de longue haleine, romans ou études critiques, qu’un éditeur aurait pu accepter. Le théâtre, il le savait inabordable ou à peu près. Quant à la poésie, son art, son métier, en somme, il fallait des rentes pour l’exercer. Les quatre volumes qu’il avait déjà publiés n’avaient-ils pas été édités à ses frais ? Il ne fallait pas compter sur le manuscrit de Sagesse, qu’il rapportait de prison, à peu près complet, comme sur un instrument de fortune, ni même pour une ressource momentanée.

Et puis la littérature, c’était Paris. Il ne tenait guère à habiter la grande ville. Il s’était ouvert très franchement avec moi là-dessus. Il se trouvait dépaysé, devenu comme étranger chez lui. Plusieurs de ses lettres écrites en prison témoignaient de son irritation des calomnies, des médisances, répandues sur son compte ; en même temps, il savait que d’anciens camarades rencontrés feindraient de ne pas l’avoir aperçu. Il ne pouvait tabler sur des appuis, sur des recommandations dans notre ancien milieu parnassien. Il recherchait l’oubli, le silence, l’effacement. Ce n’était pas le moyen de vivre de la vie littéraire.

Et puis, il sentait qu’il lui fallait se refaire une virginité morale, recommencer une existence nouvelle qui ferait oublier l’ancienne. Il devait prouver à tout le monde, et surtout à sa mère, auprès de laquelle il se sentait quelque peu honteux, ce qui activait son désir de gagner sa vie, de subsister par lui-même, qu’il était devenu un autre homme. Le travail, l’existence régulière, ponctuelle, bourgeoise, familiale même un jour, si c’était possible, fourniraient cette preuve indiscutable. Il voulait qu’on ne pût douter de sa ferme résolution. Quitter Paris était le commencement de la démonstration. Paris était séjour périlleux. Il ne fallait