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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

guible, avec cela froid, méprisant et cynique, il domina rapidement le faible Verlaine. Il fut son mauvais génie, comme on a dit dans les drames romantiques. Il y avait aussi en lui du fatal conseiller des légendes, du satanique compagnon qui entraîne à sa perte la proie à laquelle il s’est attaché.

Arthur Rimbaud a été le grand artisan des malheurs du poète. Ce fut lui qui l’emmena de cafés en comptoirs, au delà de l’heure la plus tardive, le détournant de la table de famille, où le repas vainement attendait ; de plus, chez le beau-père, rue Nicolet, où Verlaine l’avait introduit, imposé, il irritait par sa présence d’hôte incongru, mal élevé et impérieux. Enfin, après avoir provoqué des querelles entre les époux, il détermina Verlaine à quitter le domicile conjugal, et à vagabonder dans les Ardennes, en Angleterre et en Belgique, en sa compagnie.

Verlaine subit, plus violente, au cours de ces randonnées loin des siens, détaché de ses autres camarades, l’influence de ce jeune être bizarre, anormal, au génie maladif, dont l’originalité sensationnelle et l’étrange façon d’envisager les choses impressionnaient vivement son ami. Il est certain que les combinaisons imaginatives et les spéculations extraordinaires de Rimbaud eurent une grande action sur son cerveau, et modifièrent son tempérament poétique. La secousse du procès, l’internement, l’isolement, l’élan soudain de religiosité qui en furent la suite, eurent sans doute une grande part dans la transformation du talent et surtout des procédés poétiques de Verlaine, mais la pénétration de l’intellectualité capricieuse et originale de son funeste guide fut très forte, et donna une autre direction à ses pensées, à ses formules, à ses rêves d’art, et à ses façons d’interpréter le monde intérieur qu’il portait en lui.