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torturer, l’ombre de celle qui l’accable, captif du souvenir et de l’ancien amour, encore plus qu’il ne l’est des geôliers brabançons, à la pistole de Mons.


Mons, 24 ou 28 novembre 1873.
Cher ami,

Je reçois à l’instant ton petit mot, et le spécimen du petit bouquin. C’est très-bien. Pas la peine de m’envoyer autre chose, pour le moment. Quand le livre sera fini, tu en remettras un certain nombre d’exemplaires à ma mère, ou, si elle est encore ici, tu lui en enverras un exemplaire qu’elle me fera parvenir. Merci du bon souvenir.

Je te le disais vendredi dernier, je suis bien décourageotté, bien triste par instants. Croirais-tu qu’un de mes chagrins c’est encore ma femme ! C’est extraordinaire comme elle a peur du père et de la mère Badingue [les beaux-parents].

Je la plains de tout mon cœur de ce qui arrive, de la savoir là, dans ce milieu qui ne la vaut pas, loin du seul être qui ait compris quelque chose à son caractère, je veux dire moi. Mais on a tant fait, on lui a tant fait faire, qu’à présent elle est comme engagée d’honneur à pourrir dans son dessein. Au fond, j’en suis sûre, elle se ronge de tristesse, peut-être de remords. Elle sait qu’elle a menti à elle-même, elle sait qui et quel je suis, de quoi je suis capable pour son bonheur.

De ce qu’elle m’a vu saoûl, et de ce qu’on lui a infusé dans la tête que je l’avais outragée de la pire façon, je n’en puis conclure que ce soit spontané chez elle ce tic de vouloir se séparer. C’est surtout pour la galerie, et c’est triste. Un moment, à Bruxelles, l’an dernier, j’ai vu qu’elle comprenait, puis ça lui a passé ; sa mère était là. La malheureuse sait certainement que, ici, dans cette ignominie où cela m’a fourré, je pense ces choses-là. Elle le sait, elle voudrait revenir, et ne peut. Avec ça que la maison de son père lui est actuellement un enfer. C’est surtout ce qui m’afflige.

Tu ris peut-être de ma psychologie ? Tu as tort. C’est vrai tout ça. Je ne suis pas encore assez bénisseur pour fermer les yeux à tout. J’ai l’intention, à ma sortie, de ne rentrer en France que muni de viatiques légaux. Une lutte légale avec Monsieur Mauté n’a rien qui m’épouvante, et, s’il faut être