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s’enivra. Jeudi matin, il sortit à six heures ; il ne rentra que vers midi, il était de nouveau en état d’ivresse ; il me montra un pistolet qu’il avait acheté, et, quand je lui demandai ce qu’il comptait en faire, il répondit en plaisantant : « C’est pour vous, pour moi, pour tout le monde ! » Il était fort surexcité.

Pendant que nous étions ensemble dans notre chambre, il descendit encore plusieurs fois pour boire des liqueurs ; il voulait toujours m’empêcher d’exécuter mon projet de retourner à Paris. Je restai inébranlable, je demandai même de l’argent à sa mère pour faire le voyage ; alors, à un moment donné, il ferma à clef la porte de la chambre donnant sur le palier, et il s’assit sur une chaise contre cette porte ; j’étais debout, adossé contre le mur d’en face ; il me dit alors : « Voilà pour toi, puisque tu pars ! » ou quelque chose dans ce sens ; il dirigea son pistolet sur moi et m’en lâcha un coup qui m’atteignit au poignet gauche ; le premier coup fut presque instantanément suivi d’un second, mais cette fois, l’arme n’était plus dirigée vers moi, mais abaissée vers le plancher.

Verlaine exprima immédiatement le plus vif désespoir de ce qu’il avait fait ; il se précipita dans la chambre contiguë, occupée par sa mère, et se jeta sur le lit ; il était comme fou, il me mit son pistolet entre les mains et m’engagea à le lui décharger sur la tempe ; son attitude était celle d’un profond regret de ce qui lui était arrivé ; vers cinq heures du soir, sa mère et lui me conduisirent ici pour me faire panser. Revenus à l’hôtel, Verlaine et sa mère me proposèrent de rester avec eux, pour me soigner, ou de retourner à l’hôpital jusqu’à guérison complète ; la blessure me paraissant peu grave, je manifestai l’intention de me rendre le soir même en France, à Charleville, auprès de ma mère. Cette nouvelle jeta Verlaine de nouveau dans le désespoir ; sa mère me remit 20 francs pour faire le voyage, et ils sortirent avec moi pour m’accompagner à la gare du Midi.

Verlaine était comme fou : il mit tout en œuvre pour me retenir ; d’autre part, il avait constamment, la main dans la poche de son habit, où était son pistolet. Arrivés à la place Rouppe, il nous devança de quelques pas, et puis, il revint sur moi ; son attitude me faisait craindre qu’il ne se livrât à de nouveaux excès ; je me retournai et je pris la fuite en courant ; c’est alors que je priai un agent de police de l’arrêter.