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qu’on ne donnât des détails circonstanciés sur l’âge, le sexe, la situation de leurs victimes, et les dimensions des blessures qu’ils avaient faites.

Conduits à l’Hôtel de Ville, on procéda à l’interrogatoire des deux suspects. Rimbaud, en présence du procureur de la République, reprit son aspect d’enfant et se mit à pleurnicher. Verlaine, interrogé ensuite, confirma les dénégations de son ami, et comme le procureur commençait à s’excuser, reconnaissant l’erreur des gendarmes, facile à établir d’ailleurs, Verlaine ayant sur lui des lettres de l’Hôtel de Ville, des diplômes, des quittances de loyer et autres pièces justifiant de son identité, plus une certaine somme d’argent, le poète, dont ne s’était pas encore dissipée l’excitation des apéritifs, éleva la voix. Il menaça le procureur. Il déclara, avec des regards terribles lancés au personnel judiciaire estomaqué, qu’en présence de son arrestation arbitraire, et il accentuait « arbitraire » à la façon d’un traître de mélodrame, roulant les r dans un tremblement expressif, il allait faire du bruit dans la presse, agiter ses amis républicains, qui ne laisseraient point ainsi passer cette séquestration de deux camarades, citoyens paisibles, honorables, n’ayant pas l’ombre d’un casier judiciaire. Puis il ajouta qu’il était né à Metz, qu’il avait à opter entre la France et l’Allemagne, et qu’en présence des procédés violents dont usaient les agents français, il était sur le point de se mettre sous la protection des gendarmes allemands, qui, eux au moins, n’arrêtaient que les coquins !

Cette fanfaronnade parut faire une certaine impression sur le magistrat, qui appela les gendarmes et leur dit :

— Vous allez reconduire ces individus à la gare, où ils devront prendre le premier train pour Paris.