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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

des manuscrits épars et froissés sur les marbres poisseux des estaminets, ses récits aux greffiers indifférents de l’interview, ses vidages de conscience en présence de thuriféraires pâmés, son épandage à la Jean-Jacques de péchés et de vilenies, à travers les pages précieuses d’intéressantes et factices autobiographies, ne doivent être acceptées que sous réserve, et avec un fort rabais sur le total. La confession est souvent objective et la faute imaginaire. La rêverie a tenu une grande place dans ces propos de table, d’alcôve et de librairie. Il y eut de la composition et du jeu dans ces attitudes que Verlaine prenait, non pas pour « épater le bourgeois », à la façon de personnages d’Henry Murger, car il n’eut jamais ni cette intention vulgaire, ni ce goût loustic, mais pour se grandir en se rabaissant, pour se gaudir dans une truculence dissolue, pour se camper, vis-à-vis de lui-même, en une pose de capitan du vice, saint Augustin de brasserie, à qui sainte Monique n’a pas manqué, car il invoquait souvent le nom vénéré de sa pieuse et bonne mère, entre deux vantardises pompeusement perverses.

Une légende s’en est suivie. D’autant plus vivace et durable que Verlaine en fut en grande partie l’auteur, héautontimorouménos de sa réputation. Ses disciples ont colporté l’évangile dépravé qu’il s’amusait à prêcher. Quelques-uns ont transformé en réalités ses paraboles littéraires. Le public a trop pris à la lettre le texte du Maître, paraphrasé par des apôtres fantaisistes, dénoncé par d’empressés et hypocrites pharisiens. Il convient de le réviser, et surtout d’en contrôler les commentaires. La signature de Verlaine au bas de ces multiples confessions imprimées ne prouve pas l’exactitude des faits. L’aveu n’est pas toujours une preuve. Verlaine avant tout était poète : donc il exagérait, il amplifiait, il grossissait. Les