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lection pour ce recueil. D’abord, c’était le témoignage des jours de bonheur. Ils sont courts. Les autres aussi, d’ailleurs. Ces vers, amoureusement sincères, chaque fois qu’il les évoquait dans sa mémoire, prolongeaient l’extase passée, rappelaient les joies enfuies, faisaient retinter à l’horloge du temps les heures heureuses. Et puis cette Bonne Chanson, c’était Mathilde, c’était sa femme longtemps aimée, toujours désirée, et furieusement regrettée, qui réapparaissait dans cette vision poétique, telle qu’elle se dressait alors dans l’imagination énamourée du poète, parée de toutes les qualités, de toutes les bontés, aimante, douce, docile, et de plus joyeuse du bonheur qu’elle donnait.

Au point de vue littéraire, pour nous, qui n’avons pas les mêmes visions à évoquer, et qui ne saurions nous intéresser au sujet en soi, étant préoccupés seulement d’examiner comment l’artiste a travaillé la matière délicate qu’il avait entrepris d’ouvrager, nous ne saurions partager la prédilection de Verlaine.

Ce qu’il y a surtout d’intéressant dans ce bouquet de mariage, dont la majeure partie des fleurs le composant ont été jalousement retirées et gardées à sécher dans l’herbier du souvenir, c’est qu’il prouve toute une nouvelle poétique chez celui qui l’a façonné.

La Bonne Chanson, c’est la transition, c’est le passage de la poésie objective, descriptive, plastique, extériorisée, à l’expression personnelle, à la confession d’âme, à la notation des battements du cœur ou des excitations du cerveau. C’est la substitution d’un art à un autre. Aux visions cérébrales, aux sentiments reçus, suggérés, développés plutôt qu’éprouvés, aux passions imaginées, aux douleurs inventées, aux sensations issues de lectures, de conversations, d’hypothèses, de rapprochements, suc-