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la figure rougeaude, à l’air finaud du campagnard enrichi, bon homme au fond, mais très près de ses intérêts, ayant la sécheresse intérieure et la rondeur apparente et sournoise des hommes d’affaires.

Enfin la jeune Mathilde entra. Elle ne portait plus le costume, fixé pour toujours dans les vers de la Bonne Chanson : « la robe grise et verte avec des ruches. » Verlaine était si troublé qu’il ne se souvint même plus, par la suite, de la façon dont sa fiancée était, ce jour-là, costumée. Il était trop préoccupé de l’examiner pour regarder l’étoffe de sa robe. C’était bien l’apparition qui avait tant de fois hanté ses rêveries. Elle se trouvait là, en chair, vivante et souriante, devant lui ! Elle lui paraissait même plus charmante, plus mignonne que la première fois. L’auto-suggestion avait fonctionné, mais la réalité dépassait la vision imaginative.

L’on s’assit autour de la table, et l’on se mit à bavarder. On dit des choses en apparence insignifiantes, mais pleines de promesses pour les deux êtres, dont la destinée se tissait irrévocablement. Le consentement des parents était acquis. Le prétendu était agréé. À partir de ce jour-là, tous les soirs, quelque temps qu’il fît, Verlaine se rendit dans la maison de la rue Nicolet.

Je n’ai guère de lettres de lui, durant cette année-là. Il négligea presque entièrement ses compagnons de café, et ses meilleurs amis ne le virent que par rapides intervalles. Il ne fit plus que de rares apparitions chez Lemerre ; il cessa presque complètement ses visites chez Leconte de Lisle, chez Banville. Je le fréquentai moins, n’allant que rarement à l’Hôtel de Ville pour lui parler, très pris que j’étais par le journalisme et les luttes politiques, alors très vives. Ses lettres me rappelaient seulement notre drame : les Forgerons, resté en sus-