Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/786

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tzeu-k’i dit : Jadis je vivais en ermite dans les grottes des montagnes. Le prince de Ts’i m’en tira, pour me faire ministre, et le peuple de Ts’i l’en félicita. Il faut que je me sois trahi, pour qu’il m’ait trouvé ainsi. Il faut que je me sois vendu, pour qu’il m’ait acquis ainsi. Hélas ! c’en est fait de ma liberté. Je plains ceux qui se perdent en acceptant des charges. Je plains ceux qui se plaignent de n’avoir pas de charge. Je ne puis pas fuir. Il ne me reste plus qu’à me retirer dans l’extase.


I.   Confucius s’étant rendu dans le royaume de Tch’ou, le roi de Tch’ou lui fit offrir le vin de bienvenue. Sounn-chou-nao présenta la coupe, Cheunan I-leao fit la libation préalable, puis dit : C’est à ce moment, que les anciens faisaient un discours — Confucius dit : J’appliquerai aujourd’hui la méthode du discours sans paroles, dont vous, mes maîtres, avez su si bien tirer parti. Vous, I-leao, avez prévenu une bataille et procuré la paix entre Tch’ou et Song, en jonglant avec des grelots. Vous, Sounn-chou-nao, avez amadoué les brigands de Ts’inn-k’iou et les avez amenés à déposer les armes, en dansant la pantomime devant eux. Si j’osais, devant vous, parler autrement que par mon silence, qu’il me pousse une bouche longue de trois pieds (que je sois muet pour la vie) ! — Au lieu de tant chercher, s’en tenir à l’unité du Principe ; se taire, devant l’ineffable ; voilà la perfection. Ceux qui font autrement, ce sont des hommes néfastes. — Ce qui fait la grandeur de la mer, c’est qu’elle unit dans son sein tous les cours d’eau du versant oriental. Ainsi fait le Sage, qui embrassant le ciel et la terre, fait du bien à tous, sans vouloir être connu. Celui qui a passé ainsi, sans charge durant sa vie, sans titre après sa mort, sans faire fortune, sans devenir fameux, celui-là est un grand homme. — Un chien n’est pas un bon chien parce qu’il aboie beaucoup, un homme n’est pas un Sage parce qu’il parle beaucoup. Pour être un grand homme, il ne suffit pas de croire qu’on l’est, il ne suffit pas de vouloir faire croire qu’on l’est. Etre grand, veut dire être complet, comme le ciel et la terre. On ne devient grand qu’en imitant le mode d’être et d’agir du ciel et de la terre. Tendre à cela sans s’empresser, mais aussi sans démordre ; ne se laisser influencer par rien ; rentrer en soi sans se fatiguer, étudier l’antiquité sans s’attrister ; voilà ce qui fait le grand homme.


J.   Tzeu-k’i avait huit fils. Il les aligna tous devant le physiognomoniste Kiou-fang-yen, et lui dit : Veuillez examiner ces garçons, et me dire lequel présente des signes d’heureux présage. — Le devin dit : celui-ci, K’ounn. — Étonné et joyeux, le père demanda : Que lui prédisez-vous ? — Il mangera des aliments d’un prince jusqu’à la fin de ses jours, dit le devin. — À ces mots la joie de Tzeu K’i fit place à la tristesse. Il dit en pleurant : Quel mal mon fils a-t-il fait, pour avoir pareil destin ? — Comment ? dit le devin ; quand quelqu’un mange de la table d’un prince, cet honneur remonte jusqu’à la troisième génération de ses ascendants. Vous aurez donc votre part de la bonne fortune de votre fils. Et vous pleurez, comme si vous craigniez ce bonheur ? Se peut-il que ce qui est faste pour votre fils, serait néfaste pour vous ? — Hélas ! dit Tzeu-k’i, est-il bien sûr que vous interprétez correctement le destin de mon fils ? Qu’il ait toute sa vie à discrétion du vin, et de la viande, c’est du bien être sans doute, mais à quel prix mon fils l’obtiendra-t-il, c’est ce que vous n’avez peut être pas vu clairement. Je me défie de ce présage, parce qu’il n’arrive chez moi que des choses extraordinaires. Alors