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soudain, en désignant la statue : Voyez donc le grain de chaux que cet homme a sur le nez !.. Et il ordonna au charpentier Chêu (qui accompagnait le cortège, pour faire les réparations éventuelles à la civière ou au catafalque) de l’enlever. Le charpentier ayant fait le moulinet avec sa hache devant le nez de la statue, le grain de chaux fut emporté par le courant d’air. Le prince Yuan de Song, ayant appris le fait, admira l’adresse du charpentier, et lui dit : Refaites votre tour sur ma personne. Le charpentier se récusa en disant : je n’ose que sur la matière morte. ... Moi, dit Tchoang-tzeu, c’est tout le contraire. Depuis que Hoei-tzeu est mort, je n’ai plus sur qui opérer. ... (La hache figure la doctrine puissante de Tchoang-tzeu, le grain de chaux figure le peu d’esprit de Hoei-tzeu. Quand Tchoang-tzeu argumentait, sans même qu’il touchât Hoei-tzeu, le peu d’esprit de celui-ci s’évanouissait. Glose).


F.   Koan-tchoung (Koan-tzeu, septième siècle) étant tombé gravement malade, le duc Hoan de Ts’i dont il était le ministre, alla le voir et lui dit : Père Tchoung, votre maladie est grave. Si elle s’aggravait davantage (euphémisme, si vous veniez à mourir), dites-moi, à qui devrai-je confier mon duché ? — Vous êtes le maître, dit Koan-tchoung. — Pao-chou-ya ferait-il l’affaire ? demanda le duc. — Non, dit Koan-tchoung. Cet homme est trop puriste, trop exigeant. Il ne fraye pas avec qui lui est inférieur. Il ne pardonne ses défauts à personne. Si vous le faisiez ministre, il heurterait inévitablement et son maître et ses sujets. Vous seriez réduit à devoir vous défaire de lui avant longtemps. — Alors qui prendrai-je ? demanda le duc. — Puisqu’il me faut parler, dit Koan-tchoung, prenez Cheu-p’eng. Celui là (bon taoïste, est si abstrait, que) son prince ne s’apercevra pas de sa présence, et que personne ne pourra être en désaccord avec lui. Se reprochant sans cesse de n’être pas aussi parfait que le fut Hoang-ti, il n’ose faire de reproches à personne. Les sages du premier ordre sont ceux qui différent du commun par leur transcendance ; les sages du second ordre sont ceux qui en différent par leur talent. Si ces derniers veulent en imposer par leur talent, ils s’aliènent les hommes. Si malgré leur talent, ils se mettent au dessous des hommes, ils les gagnent tous. Cheu-p’eng est un homme de cette sorte. De plus, sa famille et sa personne étant peu connues, il n’a pas d’envieux. Puisqu’il me faut vous conseiller, je le répète, prenez Cheu-p’eng[1].


G.   Le roi de Ou, naviguant sur le Fleuve Bleu, descendit dans l’île des singes. Ces animaux, le voyant venir, s’enfuirent et se cachèrent dans les taillis. Un seul resta, s’ébattant comme pour le narguer. Le roi lui décocha une flèche. Le singe la happa au vol. Piqué, le roi ordonna à toute sa suite de donner la chasse à ce singe impertinent, lequel succomba sous le nombre. Devant son cadavre, le roi fit la leçon suivante à son favori Yen-pou-i : Ce singe a péri pour m’avoir provoqué par l’ostentation de son savoir-faire. Prends garde à toi ! Ne l’imite pas ! Ne m’agace pas par tes bravades ! — Effrayé, Yen-pou-i demanda à Tong-ou de le former à la simplicité. Au bout de trois ans, tout le monde disait du bien de lui à qui mieux mieux.


H.   Nan-pai-tzeu K’i était assis, regardant le ciel et soupirant. Yen-Tch’eng-tzeu l’ayant trouvé dans cet état, lui dit : Vous étiez en extase[2]. —

  1. Comparer Lie-tzeu chap 6 C.
  2. Comparer chapitre 2 A.