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— Transportons nous en esprit, en dehors de cet univers des dimensions et des localisations, et il n’y aura plus lieu de vouloir situer le Principe. Transportons nous en dehors du monde de l’activité, dans le règne de l’inaction, de l’indifférence, du repos, du vague, de la simplicité, du loisir, de l’harmonie, et il n’y aura plus lieu de vouloir qualifier le Principe. Il est l’infini indéterminé. C’est peine perdue que de vouloir l’atteindre, que de vouloir le situer, que de vouloir étudier ses mouvements. Aucune science n’atteint là. Celui (le Principe) qui a fait que les êtres fussent des êtres n’est pas lui même soumis aux mêmes lois que les êtres. Celui (le Principe) qui a fait que tous les êtres fussent limités est lui même illimité, infini. Il est donc oiseux de demander où il se trouve. — Pour ce qui est de l’évolution et de ses phases, plénitude et vacuité, prospérité et décadence, le Principe produit cette succession, mais n’est pas cette succession. Il est l’auteur des causes et des effets (la cause première), mais n’est pas les causes et les effets. Il est l’auteur des condensations et des dissipations (naissances et morts), mais n’est pas lui même condensation ou dissipation. Tout procède de lui, et évolue par et sous son influence. Il est dans tous les êtres, par une terminaison de norme ; mais il n’est pas identique aux êtres, n’étant ni différencié ni limité.


G.   A-ho-kan et le futur empereur Chenn-noung étudiaient sous Lao-loung-ki. Assis sur un tabouret, Chenn-noung faisait la sieste, porte close. A-ho-kan poussa la porte, et lui annonça à brûle-pourpoint que leur maître venait de mourir. Chenn-noung se leva tout d’une pièce, laissa tomber sa canne, éclata de rire et dit : Serait-il mort de désespoir de mon incapacité, pour n’avoir pas pu me soulever avec ses grandes phrases ?.. Le taoïste Yen-kang, venu pour faire ses condoléances, ayant entendu ces paroles, dit à Chenn-noung : L’étude du Principe attire les meilleurs sujets de l’empire. Vous avez ce qu’il faut pour vous y appliquer. Car, sans en avoir rien appris, vous avez trouvé tout seul, comme votre boutade sur la mort de votre maître le prouve, que ce ne sont pas les grandes phrases qui donnent l’intelligence, ce qui est un axiome taoïste fondamental. Le Principe n’est atteint ni par la vue, ni par l’ouïe. On ne peut en dire que ceci, qu’il est mystère. Qui en parle, montre qu’il ne le comprend pas.


H.   La Pureté demanda à l’Infini[1]  : Connaissez-vous le Principe ? — Je ne le connais pas, dit l’Infini. — Alors la Pureté demanda à l’Inaction : — Connaissez-vous le Principe ? — Je le connais, dit l’Inaction. — Par réflexion, ou par intuition ? demanda la Pureté. — Par réflexion, dit l’Inaction. — Expliquez-vous, fit la Pureté. — Voici, dit l’Inaction : Je pense du Principe, qu’il est le confluent des contrastes, noblesse et vulgarité, collection et dispersion ; je le connais donc par réflexion. — Pureté s’en fut consulter l’État primordial. Lequel, demanda-t-elle, a bien répondu ? Qui a raison, et qui a tort ? — L’État primordial dit : L’Infini a dit, je ne connais pas le Principe ; cette réponse est profonde. L’Inaction a dit, je connais le Principe ; cette réponse est superficielle. (L’Infini a eu raison de dire qu’il ne savait rien de l’essence du Principe. L’Inaction a pu dire qu’elle le connaissait, quant à ses manifestations extérieures). — Frappée de cette réponse, Pureté dit : Ah ! alors, ne pas le connaître c’est le connaître (son essence), le connaître (ses

  1. Comparez ci dessus A. Morceau analogue.