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seulement. Pratiquement, suivez les temps et les circonstances. Soyez uniformément juste comme prince régnant, uniformément bienfaisant comme dieu du sol, uniformément indifférent comme particulier ; embrassez tous les êtres, car tous sont un. — Le Principe est immuable, n’ayant pas eu de commencement, ne devant pas avoir de fin. Les êtres sont changeants, naissent et meurent, sans permanence stable. Du non-être ils passent à l’être, sans repos sous aucune forme, au cours des années et des temps. Commencements et fins, croissances et décadences, se suivent. C’est tout ce que nous pouvons constater, en fait de règle, de loi, régissant les êtres. Leur vie passe sur la scène du monde, comme passe devant les yeux un cheval emporté. Pas un moment sans changements, sans vicissitudes. Et vous demandez, que faire ? que ne pas faire ?.. Suivez le cours des transformations, agissez d’après les circonstances du moment, c’est tout ce qu’il y a à faire.


Enfin, dit le Génie du fleuve, veuillez m’apprendre les avantages de l’intelligence du Principe. — Ces avantages, dit le Génie de la mer, les voici : Celui qui connaît le Principe connaît la loi qui dérive de lui, l’applique comme il faut, et est par suite respecté par tous les êtres. L’homme dont la conduite est ainsi toute sage, le feu ne le brûle pas, l’eau ne le noie pas, le froid et le chaud ne le lèsent pas, les bêtes féroces ne lui font pas de mal. Non qu’il n’ait rien à craindre de ces dangers. Mais parce que, dans sa sagesse il calcule si bien, qu’il évite tout malheur ; se conduisant avec une telle circonspection qu’il ne lui arrive aucun mal[1]. — Cette sagesse qui résulte de la connaissance du Principe est ce qu’on a appelé l’élément céleste (naturel, dans l’homme), par opposition à l’élément humain (artificiel). Il faut que cet élément céleste (la nature) prédomine, pour que l’action soit conforme à la perfection originelle. — Veuillez me rendre plus sensible la différence entre le céleste et l’humain, insista le Génie du fleuve. — Voici, dit le Génie de la mer. Que les bœufs et les chevaux soient des quadrupèdes, voilà le céleste (leur nature). Qu’ils aient un mors dans la bouche ou un anneau dans le nez, voilà l’humain (artificiel, contre nature). L’humain ne doit pas étouffer le céleste, l’artificiel ne doit pas éteindre le naturel, le factice ne doit pas détruire la vérité entitative. Restaurer sa nature, c’est revenir à la vérité première de l’être.


B.   Un k’oei (animal fabuleux) à une patte, demanda à un mille-pattes : Comment avez-vous fait pour avoir tant de pieds ?.. Le mille-pattes dit : c’est la nature qui m’a fait ainsi, avec un corps central, et des pattes filiformes tout autour ; tel un crachat, entouré de sa frange. Je meus mes ressorts célestes (ce que la nature m’a donné), sans savoir ni pourquoi ni comment. — Le mille-pattes dit au serpent : sans pied, vous avancez plus vite que moi qui en ai tant ; comment faites-vous ?.. Je ne sais pas, dit le serpent. Je glisse ainsi naturellement. — Le serpent dit au vent : moi j’avance au moyen de mes vertèbres et de mes flancs ; vous n’en avez pas, et pourtant, vous allez de la mer du Nord à celle du Sud, plus vite que moi je ne glisse ; comment faites-vous ?.. Je souffle naturellement, dit le vent, jusqu’à briser les arbres et renverser les maisons. Mais vous, petits êtres, je n’ai pas prise sur vous, vous me dominez. Un seul être n’est dominé par rien ; c’est le Sage, possesseur du Principe.

  1. Donc pas invulnérabilité, comme on l’a interprété plus tard ; mais, si grande prudence, que tout danger est évité.