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Exalter leurs mérites, travailler à se faire un nom, ergoter sur les rites et l’étiquette, vouloir tout réglementer, voilà comme font ceux qui fréquentent les cours, politiciens en quête d’un maître à servir, d’une principauté à organiser, d’alliances à moyenner. — Se retirer au bord des eaux ou dans des lieux solitaires, pêcher à la ligne ou ne rien faire, voilà le fait des amants de la nature et de l’oisiveté. — Respirer en mesure, évacuer l’air contenu dans les poumons et le remplacer par de l’air frais, aider sa respiration par des gestes semblables à ceux de l’ours qui grimpe ou de l’oiseau qui vole, voilà comme font ceux qui désirent vivre longtemps, les imitateurs de P’eng tsou. — Tous ceux là sont des toqués. Parlons maintenant des hommes sérieux.


B.   Avoir des aspirations élevées, sans préjugés préconçus ; tendre à la perfection, mais non d’après le schéma bonté équité ; gouverner sans viser à se faire un nom ; ne pas se retirer du monde ; vivre sans gymnastique respiratoire ; tout avoir, et ne faire cas de rien ; attirer tout le monde, sans rien faire pour cela, voilà la voie du ciel et de la terre, celle que suit le Sage taoïste. — Vide, paix, contentement, apathie, silence, vue globale, non intervention[1], voilà la formule du ciel et de la terre, le secret du Principe et de sa vertu. Le Sage taoïste agit à l’instar. Paisible, simple, désintéressé, aucune tristesse ne se glisse dans son cœur, aucune convoitise ne peut l’émouvoir ; sa conduite est parfaite ; ses esprits vitaux restent intacts. Durant toute sa vie il agit à l’instar du ciel, à sa mort il rentre dans la grande transformation. En repos, il communie au mode yinn ; en mouvement, au mode yang, de l’univers. Il ne cause, à autrui, ni bonheur, ni malheur. Il ne se détermine à agir que quand il y est contraint, quand il ne peut pas faire autrement. Il rejette toute science, toute tradition, tout précédent. Il imite en tout l’indifférent opportunisme du ciel. Aussi n’a-t-il rien à souffrir, ni du ciel, ni des êtres, ni des hommes, ni des fantômes. Durant la vie il vogue au gré des événements ; à la mort il s’arrête. Il ne pense pas à l’avenir, et ne fait pas de plans. Il luit sans éblouir ; il est fidèle sans s’être engagé. Durant le sommeil il n’éprouve pas de rêves, durant la veille il n’est pas mélancolique. Ses esprits vitaux étant toujours dispos, son âme est toujours prête à agir. Vide, paisible, content, simple, il communie à la vertu céleste. — La douleur et la joie sont également des vices, l’affection et le ressentiment sont pareillement des excès ; qui aime ou hait a perdu son équilibre. Ne connaître ni déplaisir ni plaisir, voilà l’apogée de la vertu ; être toujours le même, sans altération, voilà l’apogée de la paix ; ne tenir à rien, voilà l’apogée du vide ; n’avoir de rapports avec personne, voilà l’apogée de l’apathie ; laisser aller, laisser faire, voilà l’apogée du désintéressement. — La fatigue musculaire incessante use le corps ; la dépense incessante d’énergie l’épuise. Voyez l’eau. De sa nature, elle est pure et calme. Elle n’est impure ou agitée que quand on l’a troublée en la violentant. Voilà la parfaite image de la vertu céleste, calme spontanéité. Pureté sans mélange, repos sans altération, apathie sans action ; mouvement conforme à celui du ciel, inconscient, sans dépense de pensée ni d’effort ; voilà ce qui conserve les esprits vitaux. — Le possesseur d’un excellent sabre de Kan-ue le conserve soigneusement dans un fourreau, et ne s’en sert qu’aux grandes occasions, de peur de l’user en vain. Chose étrange, la plupart des hommes se donnent moins de peine pour la conservation de leur esprit vital, plus précieux pourtant que la

  1. Comparez chapitre 13 A.