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D.   Alors que Confucius voyageait à l’ouest de la principauté de Wei, son disciple Yen-yuan demanda au maître musicien Kinn : Que pensez-vous de l’avenir de mon maître ? — Je pense, dit maître Kinn, avec un soupir, je pense qu’il n’aboutira à rien. — Pourquoi cela ? fit Yen-yuan. — Voyez, dit Kinn, les chiens de paille, qui figurent dans les offrandes[1]. Avant l’offrande, on les conserve dans des coffres, enveloppés de belles toiles, tandis que le représentant du défunt et le prieur se purifient par l’abstinence. Après l’offrande, on les jette, on les piétine, on les brûle. Si on les remettait dans les coffres, pour s’en servir une autre fois, tout le monde, dans la maison, serait tourmenté par des cauchemars, ces filtres en maléfices dégorgeant les influx néfastes dont ils se sont remplis. Or voilà que Confucius ramasse dans son école les chiens de paille des souverains de l’antiquité (ses livres, pleins de vieux souvenirs périmés et devenus néfastes). De là les persécutions dont il a été l’objet en divers lieux ; cauchemars que lui ont procurés ses vieux chiens de paille. — Pour aller sur l’eau, ou prend une barque ; pour aller par terre, on prend un char ; impossible de voyager par eau en char, par terre en barque. Or les temps passés sont aux temps présents, comme l’eau et la terre ; l’empire des Tcheou et le duché de Lou se ressemblent comme une barque et un char. Vouloir appliquer maintenant les principes surannés des anciens, vouloir employer dans le duché de Lou les procédés de l’empire des Tcheou, c’est vouloir voyager en barque sur la terre ferme, c’est tenter l’impossible. Confucius travaille en vain et s’attirera des malheurs, comme tous ceux qui ont tenté d’appliquer un système donné dans des circonstances différentes. — De nos jours, pour élever l’eau, on a abandonné le seau des anciens pour la cuiller à bascule, et personne n’éprouve le besoin de revenir au seau. Ainsi les procédés de gouvernement des anciens empereurs, qui furent aptes en leur temps et sont périmés maintenant, ne doivent pas être imposés de force au temps actuel. À chaque saison on mange certains fruits dont le goût plaît à ce moment là, tandis qu’il ne plairait pas en un autre temps. Ainsi en est-il des règlements et des usages ; ils doivent varier selon les temps. — Mettez à un singe la robe du duc de Tcheou. Qu’arrivera-t-il ? Il la déchirera de colère, avec ses dents et ses griffes, et ne restera tranquille que quand il en aura arraché le dernier lambeau. Or l’antiquité et le temps actuel diffèrent autant, que le duc de Tcheou et un singe. N’affublez pas les modernes de la défroque des anciens. — Jadis quand la belle Si-cheu avait ses nerfs, elle n’en était que plus séduisante. Une femme très mal faite l’ayant vue dans cet état fit un jour comme elle lui avait vu faire. Le résultat fut que les riches habitants du village se barricadèrent dans leurs maisons, et que les pauvres s’enfuirent épouvantés avec leurs femmes et leurs enfants. C’est que le laideron n’avait reproduit que les fureurs, non la beauté de la belle. Ainsi en est-il de la parodie que Confucius nous donne de l’antiquité. Elle fait enfuir les gens. Cet homme n’aboutira pas.

  1. Et les funérailles. Voyez Lao-tzeu chapitre 5.