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G.   Emporté, le roi de la mer du Sud, et Étourdi, le roi de la mer du Nord, étaient au mieux avec Chaos, le roi du Centre. Ils se demandèrent quel service ils pourraient bien lui rendre. — Les hommes, se dirent-ils, ont sept orifices, (organes des sens, deux yeux, deux oreilles, deux narines, une bouche). Ce pauvre Chaos n’en a aucun. Nous allons lui en faire. — S’étant donc mis à l’œuvre, ils lui firent un orifice par jour. Au septième jour, Chaos mourut (cessa d’être Chaos, puisqu’il distinguait). — Il faut laisser tous les êtres dans leur état fruste naturel, sans chercher à les perfectionner artificiellement, autrement ils cessent d’être ce qu’ils étaient et devaient rester.

Chap. 8. Pieds palmés.

A.   Une membrane reliant les orteils, un doigt surnuméraire, ont été produits par le corps, il est vrai, mais en excès sur ce qui devait être normalement. Il en est de même, d’une excroissance, d’une tumeur ; quoique issues du corps, ces superfétations sont contre nature. Il faut en dire autant des théories diverses sur la bonté et l’équité (vertus) enfantées par l’esprit, et des goûts qui émanent des cinq viscères (du tempérament) d’un chacun. Ces choses ne sont pas naturelles, mais artificielles, morbides. Elles ne sont pas conformes à la norme. Oui, de même que la membrane qui relie les orteils d’un homme, et le doigt surnuméraire à sa main, gênent ses mouvements physiques naturels ; ainsi les goûts émis par ses viscères, et les vertus imaginées par son esprit, gênent son fonctionnement moral naturel. — La perversion du sens de la vue amena les excès de coloris et d’ornementation dont le peintre Li-tchou fut le promoteur. La perversion du sens de l’ouïe produisit les abus dans l’usage des instruments et dans les accords dont le musicien Cheu-k’oang fut l’instigateur. Les théories sur la bonté et l’équité produisirent ces chasseurs de renommée, Tseng-chenn Cheu-ts’iou[1] et autres, qui firent célébrer par les flûtes et les tambours de tout l’empire, leurs irréalisables utopies. L’abus de l’argumentation produisit les Yang-tchou et les Mei-ti, ces hommes qui fabriquèrent des raisons et dévidèrent des déductions, comme on moule des tuiles et tresse des cordes ; pour lesquels discuter sur les substances et les accidents, sur les similitudes et les différences, fut un jeu d’esprit ; sophistes et rhéteurs qui s’épuisèrent en efforts et en paroles inutiles. Tout cela n’est que superfétation vaine, contraire à la vérité, laquelle consiste dans la rétention du naturel, à l’exclusion de l’artificiel. Il ne faut pas violenter la nature, même sous prétexte de la rectifier. Que le composé reste composé, et le simple simple. Que le long reste long, et le court court. Gardez-vous de vouloir allonger les pattes du canard, ou raccourcir celles de la grue. Essayer de le faire leur causerait de la souffrance, ce qui est la note caractéristique de tout ce qui est contre nature, tandis que le plaisir est la marque du naturel.


B.   Il ressort de ces

  1. Cheu-u alias Cheu-ts’iou. Entretiens de Confucius, livre VIII, chapitre XV.