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enseignement exotérique, et non encore l’ésotérique, qui en est le germe fécond, le principe de vie. Il en est de votre savoir, comme des œufs inféconds que pondent les poules privées de coq ; il y manque l’essentiel… Et pour ce qui est du pouvoir divinatoire de ce sorcier, ne l’auriez-vous pas laissé lire dans votre intérieur ? Amenez-le moi, et je vous montrerai qu’il ne voit que ce qu’on lui laisse voir. — Le lendemain Lie-tzeu amena le sorcier, qui vit Hou-tzeu comme un médecin voit un malade. Après la visite, le sorcier dit à Lie-tzeu : Votre maître est un homme mort ; avant dix jours c’en sera fait de lui ; j’ai eu, à son aspect, la vision de cendres humides. — Lie-tzeu rentra, tout en larmes, et rapporta à Hou-tzeu les paroles du sorcier. C’est, dit Hou-tzeu, que je me suis manifesté à lui sous la figure d’une terre hivernale, toutes mes énergies étant immobilisées. Ce phénomène ne se produisant, chez le vulgaire, qu’aux approches de la mort, il en a conclu à ma fin prochaine. Amène-le une autre fois, et tu verras la suite de l’expérience. — Le lendemain Lie-tzeu ramena le sorcier. Après la visite, celui-ci dit : Il est heureux que votre maître se soit adressé à moi. Il va déjà mieux. Aujourd’hui je n’ai vu en lui que des signes de vie ; ce que j’ai vu hier n’était donc qu’un épisode, pas la fin. — Quand Lie-tzeu eut rapporté ces paroles à Hou-tzeu, celui-ci dit : C’est que je me suis manifesté à lui sous la figure d’une terre ensoleillée, tous les ressorts de mes énergies agissant. Amène-le une autre fois. — Le lendemain, Lie-tzeu ramena le sorcier. Après la visite, celui-ci dit : État trop indéterminé. Je ne puis tirer aucun pronostic. Après détermination, je prononcerai. — Lie-tzeu ayant rapporté ces paroles à Hou-tzeu, celui-ci dit : C’est que je me suis manifesté à lui sous la figure du grand chaos, toutes mes énergies étant tenues en balance. Il ne pouvait rien distinguer. Un remous, un tourbillon, peut être causé par un monstre marin, ou par un écueil, ou par un courant, ou par six autres causes encore ; c’est chose indéterminée, susceptible de neuf explications diverses. À fortiori le grand chaos. Amène-le une fois encore. — Le lendemain, Lie-tzeu ramena le devin. Au premier coup d’œil, celui ci s’enfuit éperdu. Lie-tzeu courut après lui, mais ne put le rejoindre. — Il ne reviendra plus, dit Hou-tzeu. Je me suis manifesté à lui dans l’état de mon émanation du Principe. Il a vu, dans un vide immense, comme un serpent se défilant ; une projection, un jaillissement. Ce spectacle inintelligible pour lui l’a terrifié et mis en fuite. — Convaincu alors qu’il n’était encore qu’un ignorant, Lie-tzeu se confina dans sa maison durant trois années consécutives. Il fit les travaux du ménage pour sa femme et servit les porcs avec respect, afin de détruire en lui-même la vanité qui avait failli lui faire déserter son maître. Il se défit de tout intérêt, se délivra de toute culture artificielle, tendit de toutes ses forces à la simplicité originelle. Il devint enfin fruste comme une motte de terre, fermé et insensible à tout ce qui se passait autour de lui, et persévéra dans cet état jusqu’à sa fin.


F.   Faites du non-agir votre gloire, votre ambition, votre métier, votre science. Le non-agir n’use pas. Il est impersonnel. Il rend ce qu’il a reçu du ciel, sans rien garder pour lui. Il est essentiellement un vide. — Le sur-homme n’exerce son intelligence qu’à la manière d’un miroir. Il sait et connaît, sans qu’il s’ensuive ni attraction ni répulsion, sans qu’aucune empreinte persiste. Cela étant, il est supérieur à toutes choses, et neutre à leur égard.