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B.   Kien-ou alla voir le fou Tsie-u[1], qui lui demanda : qu’avez-vous appris de Jeu-tchoung-cheu ? — J’ai appris de lui, dit Kien-ou, que quand les princes font des règlements, et obligent les gens à les observer, tout va bien. — Tout paraît aller bien, dit Tsie-u. Fausse apparence ! l’extérieur seul étant réglé, non l’intérieur. Vouloir gouverner avec ce procédé,.. Autant vaudrait vouloir traverser la mer à gué, contenir le Fleuve Jaune dans un lit, faire emporter une montagne par un moustique, choses absolument impossibles. Le Sage ne réglemente pas l’extérieur. Il donne l’exemple de la rectitude, que les hommes suivront, s’il leur plaît. Il est trop prudent pour en faire davantage. Tel l’oiseau qui vole haut pour éviter la flèche, le rat qui creuse un trou si profond qu’il ne puisse être ni enfumé ni déterré. Légiférer est inutile et dangereux.


C.   Tien-kenn errant au sud du mont Yinn vers la rivière Leao, rencontra Ou-ming-jenn et lui demanda à brûle-pourpoint : comment faire pour gouverner l’empire ? — Ou-ming-jenn lui dit : tu es un malappris, de poser pareille question d’une pareille manière. D’ailleurs pourquoi me soucierais-je du gouvernement de l’empire, moi qui, dégoûté du monde, vis dans la contemplation du Principe, me promène dans l’espace comme les oiseaux, et m’élève jusqu’au vide par-delà l’espace. — T’ien-kenn insista. Alors Ou-ming-jenn lui dit : Reste dans la simplicité, tiens toi dans le vague, laisse aller toutes choses, ne désire rien pour toi, et l’empire sera bien gouverné, car tout suivra son cours naturel.


D.   Yang-tzeu-kiu étant allé voir Lao-tan, lui demanda : Un homme intelligent, courageux, zélé, ne serait-il pas l’égal des sages rois de l’antiquité ? — Non, dit Lao-tan. Son sort serait celui des petits officiers, accablés de travail et rongés de soucis. Ses qualités causeraient sa perte. Le tigre et le léopard sont tués parce que leur peau est belle. Le singe et le chien sont réduits en esclavage à cause de leur habileté. — Interdit, Yang-tzeu-kiu demanda : mais alors, que faisaient les sages rois ? — Les sages rois, dit Lao-tan, couvraient l’empire de leurs bienfaits, sans faire sentir qu’ils en étaient les auteurs. Ils bonifiaient tous les êtres, non par des actions sensibles, mais par une influence imperceptible. Sans être connus de personne, ils rendaient tout le monde heureux, ils se tenaient sur l’abîme et se promenaient dans le néant ; (c’est-à-dire ils ne faisaient rien de déterminé, mais laissaient faire l’évolution universelle).


E.   Il y avait à Tcheng un sorcier transcendant nommé Ki-hien[2]. Cet homme savait tout ce qui concernait la mort et la vie, la prospérité et l’infortune des individus, jusqu’à prédire le jour précis de la mort d’un chacun, aussi exactement qu’aurait pu le faire un génie. Aussi les gens de Tcheng, qui ne tenaient pas à en savoir si long, s’enfuyaient-ils du plus loin qu’ils le voyaient venir. — Lie-tzeu étant allé le voir fut fasciné par cet homme. À son retour, il dit à son maître Hou-tzeu : jusqu’ici je tenais votre enseignement pour le plus parfait, mais voici que j’ai trouvé mieux. — En êtes-vous bien sûr ? dit Hou-tzeu ; alors que vous avez reçu seulement mon

  1. Comparez chapitre 4 H.
  2. Cette pièce importante n’est pas à sa place ici. Elle a été déplacée, probablement. Comparez Lie-tzeu chapitre 2 L.