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Chap. 6. Le Principe, premier maître.

A.   Savoir faire la part de l’action du ciel et de l’action de l’homme, voilà l’apogée de l’enseignement et de la science. — Savoir ce qu’on a reçu du ciel, et ce qu’on doit y ajouter de soi, voilà l’apogée. — Le don du ciel, c’est la nature reçue à la naissance. Le rôle de l’homme, c’est de chercher, en partant de ce qu’il sait, à apprendre ce qu’il ne sait pas ; c’est d’entretenir sa vie jusqu’au bout des années assignées par le ciel, sans l’abréger par sa faute. Savoir cela, voilà l’apogée. — Et quel sera le critère de ces assertions, dont la vérité n’est pas évidente ? Sur quoi repose la certitude de cette distinction du céleste et de l’humain dans l’homme ?.. Sur l’enseignement des Hommes Vrais. D’eux provient le Vrai Savoir.


B.   Qu’est ce que ces Hommes Vrais ?.. Les Hommes Vrais de l’antiquité se laissaient conseiller même par des minorités. Ils ne recherchaient aucune gloire, ni militaire, ni politique. Leurs insuccès ne les chagrinaient pas, leurs succès ne les enflaient pas. Aucune hauteur ne leur donnait le vertige. L’eau ne les mouillait pas, le feu ne les brûlait pas ; parce qu’ils s’étaient élevés jusqu’aux régions sublimes du Principe[1]. — Les Hommes Vrais anciens, n’étaient troublés par aucun rêve durant leur sommeil, par aucune tristesse durant leur veille. Le raffinement dans les aliments leur était inconnu. Leur respiration calme et profonde pénétrait leur organisme jusqu’aux talons ; tandis que le vulgaire respire du gosier seulement, comme le prouvent les spasmes de la glotte de ceux qui se disputent ; plus un homme est passionné, plus sa respiration est superficielle[2]. — Les Hommes Vrais anciens ignoraient l’amour de la vie et l’horreur de la mort. Leur entrée en scène, dans la vie, ne leur causait aucune joie ; leur rentrée dans les coulisses, à la mort, ne leur causait aucune horreur. Calmes ils venaient, calmes ils partaient, doucement, sans secousse, comme en planant. Se souvenant seulement de leur dernier commencement (naissance), ils ne se préoccupaient pas de leur prochaine fin (mort). Ils aimaient cette vie tant qu’elle durait, et l’oubliaient au départ pour une autre vie, à la mort. Ainsi leurs sentiments humains ne contrecarraient pas le Principe en eux ; l’humain en eux ne gérait pas le céleste. Tels étaient les Hommes Vrais. — Par suite, leur cœur était ferme, leur attitude était recueillie, leur mise était simple, leur conduite était tempérée, leurs sentiments étaient réglés. Ils faisaient, en toute occasion, ce qu’il fallait faire, sans confier à personne leurs motifs intérieurs. Ils faisaient la guerre sans haïr, et du bien sans aimer. Celui-là n’est pas un Sage, qui aime à se communiquer, qui se fait des amis, qui calcule les temps et les circonstances, qui n’est pas indifférent au succès et à l’insuccès, qui

  1. Parce qu’ils étaient uns, dans ce principe, avec les forces naturelles, lesquelles ne mouillent, ne brûlent, ne blessent, ne détruisent, que leurs contraires. Quiconque est un avec le Principe universel, est un avec le feu et l’eau, n’est ni brûlé ni mouillé, etc.
  2. Illusions, passions, goûts, tout cela est contraire à la vérité. L’air pur est, pour les taoïstes, l’aliment par excellence des forces vitales.