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Mais depuis que j’ai entendu parler un sur-homme (Confucius), je crois bien que je me suis trompé. Je me suis nui à moi-même en m’agitant trop, et à ma principauté en m’occupant trop d’elle. Désormais Koung K’iou n’est plus mon sujet mais mon ami, pour le service qu’il m’a rendu de m’ouvrir les yeux.


E.   Un cul-de-jatte gagna tellement la confiance du duc Ling de Wei, que celui-ci le préféra aux hommes les mieux faits. Un autre, affligé d’un goître énorme, fut le conseiller préféré du duc Hoan de Ts’i. Le nimbe d’une capacité supérieure éclipse les formes corporelles auxquelles elle adhère. Faire cas du corps et ne pas faire cas de la vertu, c’est la pire des erreurs. — Se tenant dans son champ de la science globale, le Sage méprise la connaissance des détails, toute convention, toute affection, tout art. Libre de ces choses artificielles et distrayantes, il nourrit son être de l’aliment céleste (pure raison, dit la glose), indifférent aux affaires humaines. Dans le corps d’un homme, il n’est plus un homme. Il vit avec les hommes, mais absolument indifférent à leur approbation et à leur désapprobation, parce qu’il n’a plus leurs sentiments. Infiniment petit est ce par quoi il est encore un homme (son corps) ; infiniment grand est ce par quoi il est un avec le ciel (sa raison).


F.   Hoei-tzeu (musicien et sophiste) objecta : Un homme ne peut pas arriver à être, comme vous dites, sans affections. — Il le peut, répliqua Tchoang-tzeu. — Alors, dit Hoei-tzeu, ce n’est plus un homme. — C’est encore un homme, dit Tchoang-tzeu ; car le Principe et le ciel lui ont donné ce qui fait l’homme. — S’il a perdu le sentiment, repartit Hoei-tzeu, il a cessé d’être un homme. — S’il en avait perdu jusqu’à la puissance, peut-être, dit Tchoang-tzeu, (car cette puissance se confond avec la nature) ; mais il n’en est pas ainsi. La puissance lui reste, mais il n’en use pas pour distinguer, pour prendre parti, pour aimer ou haïr. Et par suite il n’use pas en vain le corps, que le Principe et le ciel lui ont donné. Ce n’est pas votre cas, à vous qui vous tuez à faire de la musique et à inventer des sophismes.