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Tch1.A.

Chap. 1. Vers l’idéal.

A.   S’il faut en croire d’anciennes légendes, dans l’océan septentrional vit un poisson immense, qui peut prendre la forme d’un oiseau. Quand cet oiseau s’enlève, ses ailes s’étendent dans le ciel comme des nuages. Rasant les flots, dans la direction du Sud, il prend son élan sur une longueur de trois mille stades, puis s’élève sur le vent à la hauteur de quatre-vingt-dix-mille stades, dans l’espace de six mois[1]. — Ce qu’on voit là-haut, dans l’azur, sont-ce des troupes de chevaux sauvages qui courent ? Est-ce de la matière pulvérulente qui voltige ? Sont-ce les souffles[2] qui donnent naissance aux êtres ? Et l’azur, est-il le Ciel lui-même ? Ou n’est-ce que la couleur du lointain infini, dans lequel le Ciel, l’être personnel des Annales et des Odes, se cache ? Et, de là-haut, voit-on cette terre ? et sous quel aspect ? Mystères ! — Quoi qu’il en soit, s’élevant du vaste océan, et porté par la grande masse de l’air, seuls supports capables de soutenir son immensité, le grand oiseau plane à une altitude prodigieuse. — — Une cigale à peine éclose, et un tout jeune pigeon, l’ayant vu, rirent du grand oiseau et dirent : À quoi bon s’élever si haut ? Pourquoi s’exposer ainsi ? Nous qui nous contentons de voler de branche en branche, sans sortir de la banlieue, quand nous tombons par terre, nous ne nous faisons pas de mal ; chaque jour, sans fatigue, nous trouvons notre nécessaire. Pourquoi aller si loin ? Pourquoi monter si haut ? Les soucis n’augmentent-ils pas, en proportion de la distance et de l’élévation ? — — Propos de deux petites bêtes, sur un sujet dépassant leur compétence. Un petit esprit ne comprend pas ce qu’un grand esprit embrasse. Une courte expérience ne s’étend pas aux faits éloignés. Le champignon qui ne dure qu’un matin ne sait pas ce que c’est qu’une lunaison. L’insecte qui ne vit qu’un été n’entend rien à la succession des saisons. Ne demandez pas, à des êtres éphémères, des renseignements sur la grande tortue dont la période est de cinq siècles, sur le grand arbre dont le cycle est de huit mille années[3]. Même le vieux P’eng-tsou ne vous dira rien de ce qui dépasse les huit siècles que la tradition lui prête. À chaque être, sa formule de développement propre.[4]

  1. Allégorie analogue à celle de l’ascension et de la descente annuelle du dragon. Nuages du Nord, condensés en pluie au Sud. Vapeurs rendues par le Sud au Nord. Cycle annuel de deux fois six mois.
  2. Souffles du grand soufflet de la nature. Lao-tzeu chap. 5 C, page 21.
  3. Légendes. P’eng-tsou aurait eu 767 ans, en 1123 avant J. C.
  4. Ici, tout ce qui précède A, est répété une seconde fois B. Même fond, autre forme. Fragment ajouté au premier, dans la rédaction définitive, probablement.