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sa famille. — Trop souvent le renom s’attache à une fausse supposition, à un faux semblant. On fait gloire à Yao et à Chounn d’avoir abdiqué en faveur de Hu-you et de Chan-kuan. En réalité leur abdication ne fut qu’un vain simulacre. Ils jouirent des avantages de la dignité impériale jusqu’à leur mort. Leur gloire est une fausse gloire. — Tandis que Pai-i et Chou-ts’i qui renoncèrent vraiment au fief paternel et moururent de faim au mont Cheou-yang pour cause de loyalisme, sont plaints par les uns, moqués par les autres, glorifiés par personne. Qui distinguera, en cette matière, le vrai du faux ?

B. Yang-tchou dit : Sur mille hommes, pas un ne vit jusqu’à cent ans. Mais mettons que, sur mille, il y ait un centenaire. Une grande partie de sa vie aura été passée dans l’impuissance de la première enfance et la décrépitude de l’extrême vieillesse. Une grande partie aura été consumée, par le sommeil de la nuit, par les distractions du jour. Une grande partie aura été stérilisée par la tristesse ou la crainte. Reste une fraction relativement bien faible, pour l’action et pour la jouissance. — Mais qu’est-ce qui le décidera à agir ? de quoi jouira-t-il ?.. Sera-ce la beauté des formes et des sons ? Ces choses-là, ou lassent, ou ne durent pas. ... Sera-ce la loi, avec ses récompenses et ses châtiments, ses distinctions et ses flétrissures ? Ces motifs-là sont trop faibles. Un blâme est-il si redoutable ? Un titre posthume est-il si enviable ? Y a-t-il lieu, pour si peu, de renoncer au plaisir des yeux et des oreilles, d’appliquer le frein moral à son extérieur et à son intérieur ? Passer sa vie ainsi, dans la privation et la contrainte, est-ce moins dur que de la passer en prison et dans les entraves ? Non sans doute. Aussi les anciens qui savaient que la vie et la mort sont deux phases alternatives et passagères, laissaient-ils leurs instincts se manifester librement, sans contraindre leurs appétits naturels, sans priver leur corps de ses plaisirs. Peu leur importait l’éloge ou le blâme durant la vie ou après la mort. Ils donnaient à leur nature ses satisfactions, et laissaient les autres prendre les leurs.

C. Yang-tchou dit : Les êtres diffèrent dans la vie, mais non dans la mort. Durant la vie, les uns sont sages et les autres sots, les uns sont nobles et les autres vils ; à la mort, tous sont également une masse de charogne fondante. Ces différences dans la vie, cette égalité dans la mort, sont l’œuvre de la fatalité. Il ne faut pas considérer comme des entités réelles, la sagesse et la sottise, la noblesse et la vulgarité, qui ne sont que des modalités réparties au hasard sur la masse des hommes. Quelle qu’ait été la durée et la forme de la vie, elle est terminée par la mort. Le bon et le sage, le méchant et le sot, meurent tous également. A la mort des empereurs Yao et Chounn, des tyrans Kie et Tcheou, il ne resta que des cadavres putrides, impossibles à distinguer. Donc, vivre la vie présente, sans se préoccuper de ce qui suivra la mort.

D. Yang-tchou dit : C’est par excès de loyalisme, que Pai-i se laissa mourir de faim ; c’est par excès de continence, que Tchan-ki éteignit sa