Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses oreilles et entend avec ses yeux. — Ce propos de l’officier de Tch’enn ayant été rapporté au prince de Lou, celui-ci très intrigué envoya un ministre de rang supérieur porter à K’ang-ts’ang-tzeu de riches présents et l’inviter à sa cour. K’ang-ts’ang-tzeu se rendit à l’invitation. Le prince le reçut avec le plus grand respect. D’emblée K’ang-ts’ang-tzeu lui dit : On vous a mal renseigné, en vous disant que je vois avec mes oreilles et que j’entends avec mes yeux ; un organe ne peut pas être employé pour un autre. — Peu im­porte, dit le prince ; je désire connaître votre doctrine. — Voici, fit K’ang-ts’ang-tzeu : Mon corps est intimement uni à mon esprit ; mon corps et mon esprit sont intimement unis à la matière et à la force cosmiques, lesquelles sont intimement unies au néant de forme primordial, l’être infini indéfini, le Principe. Par suite de cette union intime, toute dissonance ou toute con­sonance qui se produit dans l’harmonie universelle, soit à distance infinie soit tout près, est perçue de moi, mais sans que je puisse dire par quel orga­ne je la perçois. Je sais, sans savoir comment j’ai su[1] ! — Cette explication plut beaucoup au prince de Lou, qui la communiqua le lendemain à Confu­cius. Celui-ci sourit sans rien dire[2].

C. Le ministre de Song ayant rencontré Confucius, lui demanda : Êtes-­vous vraiment un Sage ? — Si je l’étais, répondit Confucius, je ne devrais pas dire que oui. Je dirai donc seulement, que j’ai beaucoup étudié et appris. — Les trois premiers empereurs furent-ils des Sages ? demanda le ministre. ... Ils ont bien gouverné, ils ont été prudents et braves ; je ne sais pas s’ils ont été des Sages, répondit Confucius. — Et les cinq empereurs qui leur suc­cédèrent ? demanda le ministre. ... Ceux-là, dit Confucius, ont aussi bien gou­verné ; ils ont été bons et justes ; je ne sais pas s’ils ont été des Sages. — Et les trois empereurs qui suivirent ? demanda le ministre. ... Ceux-là, dit Con­fucius, ont aussi bien gouverné, selon les temps et les circonstances ; je ne sais pas s’ils ont été des Sages. — Mais alors, dit le ministre très étonné, qui donc tenez-vous pour sage ? — Confucius prit un air très sérieux, se recueillit un instant, puis dit : Parmi les hommes de l’Ouest[3], il y en a dont on dit, qu’ils maintiennent la paix sans gouverner, qu’ils inspirent la confiance sans parler, qu’ils font que tout marche sans s’ingérer, si imperceptiblement, si impersonnellement, que le peuple ne les connaît même pas de nom. Je pense que ceux-là sont des Sages, s’il en est d’eux comme on dit. — Le ministre de Song n’en demanda pas davantage. Après y avoir pensé, il dit : K’oung-­K’iou m’a fait la leçon.

D. Tzeu-hia demanda à Confucius : Yen-Hoei vous vaut-il ? ... Comme bonté, dit Confucius, il me dépasse. — Et Tzeu-koung ? demanda Tzeu-hia. ... Comme discernement, dit Confucius, Tzeu-koung me dépasse. — Et Tzeu­-lou ? demanda Tzeu-hia. ... Comme bravoure, dit Confucius, Tzeu-lou me dé­passe. — Et Tzeu-tchang ? demanda Tzeu-hia. ... Comme tenue, dit Confucius,

  1. Connaissance taoïste parfaite ; consonance de deux instruments accordés sur le même ton, le cosmos et l’in­dividu, perçue par le sens intime, le sens global.
  2. Sourire d’approbation. Lui aussi étant devenu taoïste, il n’avait rien à dire, dit la glose.
  3. Fiction, dit la glose. Confucius fait la leçon au ministre, en louant des Sages imaginaires, de faire tout le contraire de ce qu’il faisait. Il ne faut pas vouloir tirer de ce texte un renseignement géographique ou histori­que, qui n’y est pas contenu.