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l’enlever en cachette. N’ayant pu retrouver l’endroit, il crut avoir rêvé, et raconta l’histoire. Un de ses auditeurs, suivant ses indications, trouva le chevreuil et le rapporta chez lui. Le rêve de ce bûcheron était réel, dit-il aux gens de sa maison. Réel pour toi, dirent ceux-ci, puisque c’est toi qui as eu l’objet. — Cependant, la nuit suivante, le bûcheron eut révélation, en songe, que son chevreuil avait été trouvé par un tel, qui le cachait dans sa maison. Y étant allé de grand matin, il découvrit en effet le chevreuil, et accusa un tel par devant le chef du village. — Celui-ci dit au bûcheron : Si tu as tué ce chevreuil étant en état de veille, pourquoi as-tu raconté que tu l’as tué en rêve ? Si tu as tué un chevreuil en rêve, ce ne peut pas être ce chevreuil réel. Donc, puisqu’il ne conteste pas que tu as tué la bête, je ne puis pas te l’adjuger. Par ailleurs, ton adversaire l’ayant trouvée sur les indications de ton rêve, et toi l’ayant retrouvée par suite d’un autre rêve, partagez-la entre vous deux. — Le jugement du chef de village ayant été porté à la connaissance du prince de Tcheng, celui-ci le renvoya à l’examen de son ministre. Le ministre dit : Pour décider de ce qui est rêve et de ce qui n’est pas rêve, et du droit en matière de rêve, Hoang-ti et K’oung-K’iou sont seuls qualifiés. Comme il n’y a actuellement ni Hoang-ti ni K’oung-K’iou pour trancher ce litige, je pense qu’il faut s’en tenir à la sentence arbitrale du chef de village.

F. A Yang-li dans la principauté Song, un certain Hoa-tzeu d’âge moyen, fit une maladie qui lui enleva complètement la mémoire. Il ne savait plus le soir qu’il avait fait telle acquisition le matin ; il ignorait le lendemain qu’il avait fait telle dépense le jour précédent. Dehors il oubliait de marcher, à la maison il ne pensait pas à s’asseoir. Tout souvenir du passé s’effaçait pour lui au fur et à mesure. — Un lettré de la principauté de Lou, s’offrit à traiter ce cas d’amnésie. La famille de Hoa-tzeu lui promit la moitié de sa fortune, s’il réussissait. Le lettré dit : Contre cette maladie, les incantations, les prières, les drogues et l’acuponcture, sont sans effet. Si j’arrive à restyler son esprit, il guérira ; sinon, non. — Ayant ensuite constaté expérimentalement, que le malade demandait encore des habits quand il était nu, des aliments quand il avait faim, et de la lumière en cas d’obscurité, il dit à la famille : Il y a espoir de guérison. Mais, mon procédé est secret ; je ne le communique à personne. ... Sur ce, il s’enferma seul avec le malade, lequel, au bout de sept jours, se trouva guéri de cette amnésie vieille de plusieurs années. — Mais, ô surprise ! dès que la mémoire lui fut revenue, Hoa-tzeu entra dans une grande colère, fit de sanglants reproches à sa famille, prit une lance et mit le lettré en fuite. On se saisit de lui, et on lui demanda la raison de cette fureur. Ah ! dit-il, j’étais si heureux, alors que je ne savais même pas s’il y a un ciel et une terre ! Maintenant il me faudra de nouveau enregistrer dans ma mémoire, les succès et les insuccès, les joies et les peines, le mal et le bien passés, et m’en préoccuper pour l’avenir. Qui me rendra, ne fût-ce que pour un moment, le bonheur de l’inconscience ? — Tzeu-koung ayant appris cette histoire, en fut très étonné, et en demanda l’explication à Confucius.

— Tu n’es pas capable de comprendre cela (esprit