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Chap. 2. Simplicité naturelle

A. Hoang-ti régnait depuis quinze ans, jouissant de sa popularité, se préoccupant de sa santé, accordant du plaisir à ses sens, au point d’en être hâve et hagard. Quand il eut régné durant trente années, faisant des efforts intellectuels et physiques continuels pour organiser l’empire et améliorer le sort du peuple, il se trouva encore plus maigre et plus fatigué. Alors il se dit en soupirant : je dois avoir excédé. Si je ne suis pas capable de me faire du bien à moi-même, comment serai-je capable d’en faire à tous les êtres ? Sur ce, Hoang-ti abandonna les soucis du gouvernement, quitta le palais, se défit de son entourage, se priva de toute musique, se réduisit à un ordinaire frugal, se confina dans un appartement écarté, où il s’appliqua durant trois mois uniquement à régler ses pensées et à brider son corps. Durant cette réclusion, ?un jour, pendant sa sieste, il rêva qu’il se promenait dans le pays de Hoa-su-cheu. — Ce pays est à l’ouest de Yen-tcheou, au nord de T’ai-tcheou, à je ne sais combien de myriades de stades de ce pays de Ts’i. On ne saurait y aller, ni en barque, ni en char ; seul le vol de l’âme y atteint. Dans ce pays, il n’y a aucun chef ; tout y marche spontanément. Le peuple n’a ni désirs ni convoitises, mais son instinct naturel seulement. Personne n’y aime la vie, n’y redoute la mort ; chacun vit jusqu’à son terme. Pas d’amitiés et pas de haines. Pas de gains et pas de pertes. Pas d’intérêts et pas de craintes. L’eau ne les noie pas, le feu ne les brûle pas.? Aucune arme ne peut les blesser, aucune main ne peut les léser. Ils s’élèvent dans l’air comme s’ils montaient des marches, et s’étendent dans le vide comme sur un lit. Nuages et brouillards n’interceptent pas leur vue, le bruit du tonnerre n’affecte pas leur ouïe, aucune beauté, aucune laideur n’émeut leur cœur, aucune hauteur, aucune profondeur ne gêne leur course. Le vol de l’âme les porte partout. — A son réveil, une paisible lumière se fit dans l’esprit de l’empereur. Il appela ses principaux ministres, T’ien-lao, Li-mou, T’ai-chan-ki, et leur dit : Durant trois mois de retraite, j’ai réglé mon esprit et dompté mon corps, pensant comment il faudrait m’y prendre pour gouverner sans me fatiguer. Dans l’état de veille, je n’ai pas trouvé la solution ; elle m’est venue, pendant que je dormais. Je sais maintenant que le Principe suprême ne s’atteint pas par des efforts positifs, (mais par abstraction et inaction). La lumière est faite dans mon esprit, mais je ne puis pas vous expliquer la chose davantage. — Après ce songe, Hoang-ti régna encore durant vingt-huit ans, (appliquant la méthode de laisser aller toutes choses). Aussi l’empire devint-il très prospère, presque autant que le pays de Hoa-su-cheu. Puis l’empereur monta vers les hauteurs, d’où, deux siècles plus tard, le peuple (qui le regrettait) le rappelait encore.

B. Le mont Lie-kou-ie se trouve dans l’île Ho-tcheou. Il est habité par des hommes transcendants, qui ne font pas usage d’aliments, mais aspirent l’air et boivent la rosée. Leur esprit est limpide comme l’eau d’une source, leur teint est frais comme celui d’une jeune fille. Les uns doués de facultés extraordinaires, les autres seulement très sages, sans amour, sans crainte, ils vivent paisibles, simplement, modestement, ayant ce qu’il leur faut