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jeunesse et votre âge mûr, pour arriver à quelque fortune ; d’être resté célibataire, atteignant ainsi la vieillesse sans femme et sans enfants ; de devoir mourir bientôt, sans secours et sans offrandes. Vous étant créé une pareille condition, comment pouvez-vous chanter, en faisant cette besogne de mendiant ? — Parce que, dit Linn-lei en riant, j’ai mis mon bonheur dans des choses, qui sont à la portée de tous, et que tous détestent (pauvreté, obscurité, etc.). Oui, je ne me suis ni appliqué ni ingénié ; cela m’a valu de ne pas m’user, et de vivre jusqu’à mon âge. Oui, je suis resté célibataire, et par suite la perspective de la mort ne m’attriste pas, pour la veuve et les orphelins que je ne laisserai pas. — Mais, dit Tzeu-koung, tout homme aime la vie, et craint la mort. Comment pouvez-vous faire si bon marché de la vie, et aimer la mort ? — Parce que, dit Linn-lei, la mort est à la vie, ce que le retour est à l’aller. Quand je mourrai ici, ne renaîtrai-je pas ailleurs ? Et si je renais, ne sera-ce pas dans des circonstances différentes ? Or comme je n’ai qu’à gagner au change, quel qu’il soit, ne serait-ce pas sottise si je craignais la mort, par laquelle j’obtiendrai mieux que ce que j’ai ? — Tzeu-koung ne comprit pas bien le sens de ces paroles. Il les rapporta à Confucius. J’avais raison de penser, dit celui-ci, que nous pourrions apprendre quelque chose de cet homme. Il sait, mais pas tout, (puisqu’il s’arrête à la succession des existences, sans pousser jusqu’à l’union avec le Principe, qui est le terme).

J. Tzeu koung s’ennuyant d’étudier, dit à Confucius : Veuillez m’accorder quelque repos ! — Il n’y a pas, lui dit Confucius, de lieu de repos parmi les vivants. — Alors, dit Tzeu-koung, donnez-moi du repos, sans lieu. — Tu trouveras, dit Confucius, le repos sans localisation, dans la mort. — Alors, dit Tzeu-koung, vive la mort, le repos du Sage, que les sots craignent bien à tort ! — Te voilà initié, dit Confucius. Oui, le vulgaire parle des joies de la vie, des honneurs de la vieillesse, des affres de la mort. La réalité est, que la vie est amère, que la vieillesse est une décadence, que la mort est le repos.

K. Yen-tzeu dit : Ce sont les anciens qui ont le mieux compris ce qu’est au juste la mort, le repos désiré par les bons, la fatalité redoutée par les méchants. La mort, c’est le retour. Aussi appelle-t-on les morts, les retournés. Logiquement, on devrait appeler les vivants, les revenus. « Marcher sans savoir où l’on va, c’est le fait des égarés, dont on rit. Hélas ! maintenant la plupart des hommes sont égarés, ignorant où ils vont dans la mort, et personne ne rit d’eux. Qu’un homme néglige ses affaires, pour errer sans but, on dira de lui qu’il est fou. J’en dis autant de ceux qui, oubliant l’au-delà, s’immergent dans les richesses et les honneurs ; quoique, ceux-là, le monde les juge sages. Non, ce sont des dévoyés. Le Sage seul sait où il va.

L. Quelqu’un demanda à Lie-tzeu : Pourquoi estimez-vous tant le vide ? — Le vide, dit Lie-tzeu, ne peut pas être estimé pour lui-même. Il est estimable pour la paix qu’on y trouve. La paix dans le vide, est un état indéfinissable. On arrive à s’y établir. On ne la prend ni ne la donne. Jadis on y tendait. Maintenant on préfère l’exercice de la bonté et de l’équité, qui ne donne pas le même résultat.