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mort, est déraisonnable, la vie et la mort n’étant que deux phases fatalement successives. Tout passe, selon les temps ou les milieux, par des états successifs, sans changer essentiellement. Ainsi les grenouilles deviennent cailles, et les cailles deviennent grenouilles, selon que le milieu est humide ou sec. Un même germe deviendra nappe de lentilles d’eau sur un étang, ou tapis de mousse sur une colline. Engraissée, la mousse devient le végétal ou-tsu, dont la racine se convertit en vers, les feuilles se changeant en papillons. Ces papillons produisent une sorte de larve, qui se loge sous les âtres, et qu’on appelle K’iu-touo. Après mille jours, ce K’iu-touo devient l’oiseau K’ien-u-kou, dont la salive donne naissance à l’insecte seu-mi. Celui-ci se change en cheu-hi, en meou-joei, en fou-k’uan, (toutes formes successives d’un même être, dit la Glose). Le foie du mouton se transforme en ti-kao. Le sang de cheval se transforme en feux follets. Le sang humain se transforme en farfadets. La crécerelle devient faucon, puis buse, puis le cycle recommence. L’hirondelle devient coquillage, puis redevient hirondelle. Le campagnol devient caille, puis redevient campagnol. Les courges, en pourrissant, produisent des poissons. Les vieux poireaux deviennent lièvres. Les vieux boucs deviennent singes. Du frai de poisson, sortent des sauterelles, en temps de sécheresse. Le quadrupède lei des monts T’an-yuan, est fécond par lui-même. L’oiseau i se féconde en regardant dans l’eau. Les insectes ta-yao sont tous femelles et se reproduisent sans intervention de mâle ; les guêpes tcheu-fong sont toutes mâles et se reproduisent sans intervention de femelle. Heou-tsi naquit de l’empreinte d’un grand pied, I-yinn d’un mûrier creux. L’insecte k’ue-tchao naît de l’eau, et le hi-ki du vin. Les végétaux yang-hi et pou-sunn, sont deux formes alternantes. Des vieux bambous sort l’insecte ts’ing-ning, qui devient léopard, puis cheval, puis homme. L’homme rentre dans le métier à tisser (c’est-à-dire que pour lui, le va-et-vient de la navette, la série des transformations recommence). Tous les êtres sortent du grand métier cosmique, pour y rentrer ensuite[1].

F. Dans les écrits de Hoang-ti, il est dit : la substance qui se projette, ne produit pas une substance nouvelle, mais une ombre ; le son qui résonne, ne produit pas un son nouveau, mais un écho ; quand le néant de forme se meut, il ne produit pas un néant nouveau, mais l’être sensible. Toute substance aura une fin. Le ciel et la terre étant des substances, finiront comme moi ; si toutefois l’on peut appeler fin, ce qui n’est qu’un changement d’état. Car le Principe, de qui tout émane, n’aura pas de fin, puisqu’il n’a pas eu de commencement, et n’est pas soumis aux lois de la durée. Les êtres passent successivement par les états d’être vivants et d’être non-vivants, d’être matériels et d’être non-matériels. L’état de non-vie n’est pas produit par la non-vie, mais fait suite à l’état de vie (comme son ombre, ci-dessus). L’état de non-matérialité n’est pas produit par l’immatérialité, mais fait suite à l’état de matérialité (comme son écho, ci-dessus). Cette alternance successive, est fatale, inévitable. Tout vivant cessera nécessairement de vivre, et cessera ensuite nécessairement d’être non-vivant, reviendra nécessairement à la vie.

  1. De ce passage qui résume peut-être des légendes exotiques, la Glose dit fort bien : Désordre apparent, mais, en réalité, toutes les formes de transformisme sont parcourues ; parthénogenèse, génération alternante, transformation dans une même classe (végétaux), transformation dans deux ou plusieurs classes (végétaux, animaux, etc.), transformation d’êtres inanimés en vivants, transformation avec ou sans mort intermédiaire. Si les taoïstes avaient su ce que nous savons des aphidiens, des ténias, de tant de parasites, quelle joie !